#21 - Mon père était Charon
Dites-vous bien que lancer Hades 2 et voir l'héroïne balancer un "Mort à Cronos" en guise de première phrase, ça part déjà mal pour apprécier le jeu.
Souvenez-vous, en fin d’année dernière, après des mois de négociations et de milliards de dollars dépensés, Microsoft rachète Activision-Blizzard-King pour une somme mirobolante (68 millards, une paille) afin que leurs jeux anciens et futurs rejoignent la grande famille de Microsoft et Xbox. J’insiste sur la grande famille, parce qu’au-delà de la blague digne d’un Dominic Toretto, c’est comme ça que Microsoft communique son cheptel de studios dûment acquis. Une volonté de porter bon nombre de productions sous la même bannière: celle du jeu vidéo avec les licences que les joueurs aiment et adulent. Retenez-bien ça, notamment grâce au trailer ci-dessous, la suite va vous surprendre.
Trois mois plus tard, Microsoft annonce le licenciements de 1900 personnes dans leurs divisions jeu vidéo. Des coupes budgétaires qui touchent autant les XBox Game studios que Bethesda (racheté quelques années avant pour une forte somme également) et même Activision. Une hypocrisie dingue qui laisse des employés sur le carreau, et témoignent surtout d’un manque de vision sur le long terme. Mais malheureusement, comme le dit la célèbre publicité: “et c’est pas fini”.
Début mai, une nouvelle rajoute encore à la mauvaise réputation de Microsoft: poursuivant son remaniement économique de grande ampleur, le géant américain ferme quatre studios parmi l’éditeur Besthesda. Arkane Austin, Tango Gameworks, Alpha Dog Games et Roundhouse Studios sont priés de fermer les portes. Si les deux derniers studios sont moins connus, les deux premiers en revanche ont marqué bon nombre de joueurs. Arkane Austin était une branche du studio Arkane (Dishonored) et qui aura accouché de l’un des meilleurs FPS de ces dernières années, le reboot de Prey. Mais le récent Redfall qui aura fortement déçu les joueurs, a été un échec commercial retentissant. On sait que certains choix de management n’ont pas aidé le développement de Redfall, qui avait commencé avant le rachat de Microsoft, mais l’éditeur n’aurait pas vu le naufrage arriver.
Concernant Tango Gameworks, c’est encore plus incompréhensible, puisqu’en dehors de Ghostwire: Tokyo (succès mitigé), ils sont également responsable de Hi-fi Rush, véritable petit succès mérité de l’année dernière, et le studio était même en train de plancher sur une suite. Un des rares fait d’armes de l’écurie Microsoft, tué dans l’œuf par un géant ne cherchant même plus à réfléchir sur le long terme. Il conserve les grosses licences qui ont encore un impact (Fallout, Call of Duty) et le futur des jeux Microsoft est bien morne désormais, au vue des studios qui sont encore en activité chez eux, et des jeux prévus. On attendra de voir si le choix de mettre le futur Call Of Duty dans le GamePass day one ne sera pas une balle dans le pied, sacrifiant le prix d’un jeu plein pot pour quelques mois d’abonnements auprès des joueurs. Mais pour l’heure, cette nouvelle est un vrai désastre vidéoludique, qui a clairement cassé quelque chose chez ceux qui croyait encore un peu à la machinerie Xbox, et on n’a plus qu’à attendre la suite des événements, qui vont tourner autour de Call Of, Fallout, Elder’s Scolls et consorts.
[#jeu vidéo] - Hades 2
Sorti en 2020, Hades premier du nom remporta un franc succès et popularisa grandement le genre du roguelite. Dans la peau de Zagreus, fils d’Hades, coincé dans les Enfers, le joueur devait remonter à la surface, run après run, allant de plus en plus loin jusqu’à défaire le paternel (en apparence). La différence marquante avec les autres cadors du genre était sa narration impeccable et passionnante, qui impliquait le joueur pour arriver au point final de l’histoire, porté par une belle écriture et un doublage incroyable. Lorsque la suite fut annoncé il y a quelques mois, les fans étaient perplexes: le premier opus se suffisait à lui-même, pourquoi en faire une suite ? Surtout que Supergiant Games, le studio derrière le jeu, n’a jamais fait de suite. En mai 2024, Hades 2 sort en accès anticipé. Une version 0.9 et des bananes, à laquelle les joueurs peuvent accéder en pré-achetant le jeu afin de tester pour faire des retours et aider le studio à tout équilibrer. Mais évidemment, une version en cours signifie également un contenu tronqué, en attendant que le studio livre le reste. Je m’étais juré de ne pas succomber et d’attendre la version 1.0 finale pour tout découvrir mais que voulez-vous: les lois du Tartare sont impénétrables.
Dans cette suite qui se déroule quelque temps après le premier volet, vous jouez Mélinoé, la petite sœur de Zagreus et adepte d’ésotérisme et de sorcellerie. On va éviter de tout dévoiler, juste dire que cette fois-ci, Mélinoé veut atteindre Cronos (coucou), père d’Hades et Titan du Temps. Comme avant, le jeu est structuré de la même façon: on se retrouve sur un hub principal, la Croisée des Chemins, habité par une multitudes de têtes connues de la mythologie grecque. On s’y prépare, on papote avec les figures du coin, on choisit son arme et on débloque de nouvelles améliorations pour faciliter un peu plus la prochaine descente dans les Enfers. Arrivé en plein combat, on distingue une nouveauté de taille: une barre de Mana.
Jusqu’à présent, notre héros n’avait qu’une barre de vie à surveiller, il faudra maintenant compter sur ses points de magie. Chaque attaque pourra être chargée pour créer une attaque Ω, plus puissante et différente de l’attaque de base, mais qui consomme du Mana en retour. Il faudra aussi compter sur des glyphes, des cercles magiques qui permettent de ralentir voire stopper les ennemis sur le terrain, et un sprint fait maintenant son apparition lorsque vous laissez appuyer sur la touche d’esquive. Evidemment, comme le premier opus, les Bienfaits des Dieux viendront récompenser vos batailles afin de personnaliser vos attaques, techniques ou glyphes, prenant même en compte les attaques Ω pour faire divers effets. Et la consommation de vos points de Mana pourra aussi servir à débloquer d’autres pouvoirs, comme ces Sorts qui ne sont accessibles qu’au bout d’un certain nombre de Mana dépensé. Bref, le panel disponible pour construire votre build est énorme. Mais la façon d’agencer ses nouvelles mécaniques fait que l’on joue différemment. On est bien plus mobile car les ennemis le sont aussi, et Hades 2 joue plus sur le skill manette en main plutôt que de compter uniquement sur la puissance de vos Bienfaits. Une manière de contourner les builds pétés de Hades 1 en forçant le joueur à faire attention à ses choix de consommation de Mana, ou de privilégier un type d’attaques pour créer de nouvelles synergies. Il reste encore de l’équilibrage lié à l’accès anticipé, mais force est de constater qu’on oublie très vite pourquoi on avait peur de cette suite: c’est super comme avant mais ça se joue pas tout à fait pareil.
Une manière de réduire un peu le spectaculaire pour maximiser la lisibilité, et c’est tant mieux car les ennemis sont plus redoutables qu’auparavant. Et surtout: ce Hades 2 propose déjà en terme de contenu plus que Hades premier du nom, et les développeurs ont prévenu qu’on était encore loin du compte. On peut déjà dire que cette suite sera gargantuesque, alors que toutes les qualités du premier volet sont toujours présents. Les designs des personnages, nouveaux ou anciens, sont tous somptueux et puent la classe à tous les niveaux, et le doublage provoquera encore une fois quelques frissons ASMResque. On voit déjà ici et là des designs temporaires, mais le boulot de finition est exemplaire, et la musique réserve son lot de surprises, de même que la variété des situations. On n’en dira pas plus, mais Hades 2 surprend déjà dans sa manière de casser la linéarité du premier volet, et on n’a hâte que d’une chose: que la version 1.0 arrive vite vite.
Hades 2 / Développé par Supergiant Games / Sortie en accès anticipé le 6 mai 2024 / Disponible sur Steam / Prix: 30 euros
[#série] - Sugar
Nouvelle production estampillé Apple TV+, Sugar est aussi une création de Mark Protosevich. Un nom qui vous dit pas grand-chose, puisqu’il a surtout officié en tant que scénariste sur des films comme Je suis une légende ou Old Boy (pas le bon, l’autre). Là où c’est plus intéressant, c’est dans la liste des réalisateurs associés au projet, puisqu’on y trouve Fernando Meirelles, qu’on connaît pour avoir réalisé La Cité de Dieu (fortement recommandé). Sugar n’a rien à voir. On y suit John Sugar donc, un détective privé campé par un Colin Farrell impérial et gominé, costume sur mesure et grand adepte du cinéma. Après une mission au Japon, il rentre à Los Angeles pour s’occuper d’une affaire de disparition, celle de Olivia Siegel, la petite fille d’un important producteur d’Hollywood qui cherche absolument à savoir pourquoi elle s’est volatilisé. Commence alors une enquête qui va conduire le héros bien plus loin qu’il ne le pensait.
La série débarque avec un pitch assurément classique, celui d’une disparition qui cache des choses bien plus complexes. Mais plusieurs éléments le distinguent de la concurrence. Si John Sugar est un cinéphile averti, la série le rappelle constamment en n’hésitant pas à intercaler des petits extraits de films, souvent des années 40-50, souvent des films noirs, pour souligner la situation actuelle et piocher dans les clichés du genre: la filature, le héros qui commence à douter de tout ce qui l’entoure, la recherche d’informations en interrogeant les passants. Tout y passe, et on comprend vite que Sugar est plus qu’un cinéphile: c’est un personnage qui veut ressembler aux héros des films qu’il adule, que ce soit dans le style vestimentaire mais aussi dans la philosophie et la ligne de conduite.
Car c’est un des points notables et qui est plutôt rafraîchissant: on comprend vite que Sugar est un personnage foncièrement bon, qu’il veut faire le bien comme ses idoles, et qu’il met un point d’honneur à aider les gens dans le besoin car il a la capacité de le faire. Pas de cynisme, pas de violence gratuite, tout du moins c’est ce que Sugar essaye de respecter. Un parti pris qui pourrait transformer le personnage en quelqu’un de naïf mais c’est une des principales thématiques de la série: comment un philanthrope évolue à travers le monde réel, comment le pouvoir du cinéma influe la personnalité et le caractère de chacun. Une idée intéressante, qui aurait peut-être mérité plus de profondeur sur la longueur, mais la série arrive à prendre de court le spectateur à quelques encablures de la fin par des surprises tout à fait cohérentes avec ce qui est raconté mais qui pourra en laisser certains de marbre.
Sugar est porté par un très chouette casting, à commencer par un Colin Farrell impeccable en détective philanthrope au milieu de ce Los Angeles un peu désespéré. Charismatique en diable mais avec ce regard compatissant et sincère, il porte la série sur ses épaules, avec une petite voix off digne des films noirs d’antan. Si ce genre de procédé de narration a tendance à vous agacer, sachez que la série plonge dedans à pieds joints, mais encore une fois, les codes et les clichés ont leur importance dans Sugar. Amy Ryan, qui joue la belle-mère de la fille disparue, possède aussi son importance, avec son look d’ancienne star du rock un peu paumée, qui voit en le personnage de Sugar un ange tombé du ciel avec toute la méfiance de notre époque actuelle. Bref, côté casting, c’est du solide.
Si Sugar ne révolutionne rien dans son trope du détective privé s’enfonçant un peu plus dans les méandres du pouvoir, il possède un charme indéniable lié à son protagoniste, en plus d’avoir des épisodes courts (30 minutes) qui enlèvent les quelques longueurs dans lesquels le scénario pourrait patauger. La fin de cette saison laisse entrevoir un fil rouge plus ambitieux qui s’installe, et si saison 2 il y a, on est bien curieux de voir comment la série va évoluer.
Sugar / Créée par Mark Protosevich / Avec Colin Farrell, Kirby Howell-Baptiste, Amy Ruan / Saison 1 (8 épisodes) / Dispo sur Apple TV+
[#film] - Furiosa - A Mad Max Saga
Nouveau projet de George Miller, grand instigateur de la saga Mad Max, Furiosa est probablement l’une des grosses attentes cinématographiques de cette année. Mad Max Fury Road, sorti il y a déjà presque dix ans, représente toujours un jalon important dans le blockbuster et le cinéma d’action, celui qui démontre qu’avec une réelle maîtrise de la mise en scène et un scénario en apparence simple mais aux enjeux limpides, on peut accoucher d’un petit chef d’œuvre qui ne prend pas une ride. Furiosa a la lourde charge d’arriver comme étant une prolongation de ce renouveau de l’univers Mad Max, en racontant l’origin story de Furiosa, l’ange vengeresse incarné par Charlize Theron dans Fury Road et qui avait réussi à occulter le personnage de Max. Mais George Miller n’est pas comme tout le monde, et au lieu de simplement raconter son passé, il se pose une bien meilleure question: pourquoi le personnage de Furiosa est devenu aussi mythique ?
(ça va spoiler un peu, je préviens)
J’en avais déjà parlé pour 3000 ans à t’attendre sur le tout premier numéro de cette newsletter (fiou, ça remonte) mais George Miller continue son exploration du mythe et de comment raconter une histoire. Et Furiosa plonge complètement dans cette thématique en s’éloignant de la structure de Fury Road pour aller narrer de façon plus linéaire la quête vengeresse de Furiosa, de sa petite enfance qui prend une place certaine dans le film jusqu’au tout début de Fury Road. Tout le film permet alors de découvrir un univers ambitieux, comme on ne l’avait jamais vu. On y découvre la fameuse Terre Verte évoquée dans Fury Road ou encore les Wastelands régis par Immortan Joe dans sa Citadelle, ainsi que Petroville et la Ferme à Balles. Trois grands pôles comme trois sommets hiérarchiques d’un équilibre fragile, où seuls les plus forts parviennent à en profiter, tandis que d’autres moins chanceux ne font que ramasser les miettes. Un lore bien plus approfondi et passionnant, où va tenter de se placer Dementus (Chris Hemsworth), un chef de gang de bikers au charisme indéniable mais sacrément percé et dont l’ambition et de prendre la tête de ce pouvoir à grands coups de manœuvres et d’embuscades. Et au milieu de tout ça se trouve Furiosa (Anya Taylor Joy) dont sa quête de vengeance va grimper peu à peu en force.
Là où George Miller est malin, c’est dans sa façon de concevoir son origin story. On peut facilement comparer Furiosa à Solo: A Star Wars Story, dont le principal intérêt pour Disney était de capitaliser sur une figure mythique en expliquant comment ce personnage obtient ses attributs, mais sans jamais s’interroger sur pourquoi Han Solo est aussi important. S’il rencontre Chewbacca ou qu’il obtient son nom de scène, c’est toujours sans vraiment d’impact sur les enjeux du personnage. Miller, de son côté, voit Furiosa comme une véritable figure mythique qui ne se résume pas à une simple succession d’événements qui vont la conduire à être ce que les spectateurs ont en tête dans Fury Road. Si elle se rase le crâne ou qu’elle perd son bras, ce n’est jamais gratuit, car tout construit le caractère du personnage et son chemin vers le mythe qu’elle devient dans Fury Road. Il y a du sens dans ce qui est montré à l’écran.
Furiosa est pas beaucoup plus bavard que Fury Road (sauf à un moment précis) parce que Miller veut construire l’héroïne qu’elle devient par ses actes (et par l’image) et non par ses dialogues. Et c’est d’autant plus frappant quand on la compare à son adversaire, Dementus, qui ne jure que par des attributs vides de sens, comme sa cape qui change de couleur ou en modifiant son surnom au gré de ses envies, juste parce qu’il estime que c’est le bon moment, sans véritable raison. Un méchant charismatique mais dont on découvre la coquille vide, parlant beaucoup pour ne rien dire, comme s’il avait peur du silence et de l’ennui, persuadé qu’il n’y a que par la force et l’impact que l’on arrive à marquer les individus. Furiosa est là pour montrer que c’est sa détermination sans faille, mû par des sentiments sincères, qui va la placer en tant qu’héroïne.
Et le film démontre sa maîtrise à chaque instant, que ce soit sur toute sa partie introductive prenante ou encore cette séquence de poursuite centrale qui permet à Miller de montrer tout son talent dans la construction d’une action claire, limpide et toujours inventive. Tout le casting est incroyable, de Hemsworth en bouffon dément mais implacable à Anya Taylor-Joy qui possède un regard et une présence mutique et enflamée. Tom Burke en Praetorian Jack bénéficie d’une classe hors-norme avec son costume incroyable, de même que la tripotée de méchants et de gueules cassées qui évoluent autour de Dementus ou Immortan Joe, dont certains sortis de Fury Road.
Mais à vouloir complexifier le récit en l’étendant sur une longue période, Furiosa perd parfois l’efficacité qu’il aurait pu avoir, en ellipsant des séquences un peu trop vite ou en s’attardant parfois sur des passages qui n’apportent pas grand chose. De même que sur sa forme: s’il est évident au vu des situations dynamiques nettement plus nombreuses et variés qu’il était difficile de reproduire l’aspect “réel” de Fury Road, il y a malgré tout une sensation bien plus numérique que son prédécesseur, qui souffre de la comparaison. On regrette l’atmosphère âcre et poussiéreux de Fury Road, et même si le film reste sublime dans la majorité du métrage, on sent bien plus un aspect factice qui était quasiment absent auparavant. Un brin dommage, mais ça n’empêche pas Furiosa d’être largement recommandable et à la hauteur de la saga de George Miller, tout en apportant des niveaux de lecture toujours bien plus passionnants que le tout venant d’Hollywood. Rien que pour ça, il faut soutenir ce genre de cinéma qui lui fait sacrément du bien.
Furiosa: Une saga Mad Max / Réalisé par George Miller / Avec Anya Taylor-Joy, Chris Hemsworth, Tom Burke / Sortie le 22 mai 2024
[#film] - L’œuf de l’ange
Dans la production de l’animation japonaise, on déniche parfois de petites pépites oubliées, qui n’ont pas connu leur heure de gloire alors même que les gens derrière le projet sont devenus célèbres pour leur travail. C’est le cas pour L’oeuf de l’ange (Tenshi no tamago), film de Mamoru Oshii, qui n’est pas un illustre inconnu puisqu’il s’agit du réalisateur de Ghost in the Shell. Mais en 1985, le bonhomme n’est pas encore connu et il doit faire ses preuves, et se lance dans la production de ce film, aux côtés d’un certain Yoshitaka Amano en tant que directeur graphique, une véritable pointure puisqu’il est aux commandes de bon nombres d’illustrations pour la saga Final Fantasy. Ensemble, il se lance dans un long-métrage qui sera aussi cryptique que somptueux.
Le film raconte l’histoire d’une jeune fille aux longs cheveux blancs, qui protège un étrange œuf dans un monde désolée et sombre. Elle part dans une ville à priori abandonnée à la recherche de récipients d’eau mais tombe nez à nez avec un mystérieux soldat qui lui suggère de casser l’œuf pour savoir ce qu’il y a à l’intérieur, ce que la fillette refuse. Les deux vont alors voyager ensemble, se liant d’amitié. Une histoire qui va se révéler plutôt simple dans sa construction, mais garde énormément de mystères lors du visionnage: qui est la jeune fille et pourquoi protège-t-elle cet oeuf ? Qui est ce garçon et d’où vient-il ? Qui sont les mystérieux pêcheurs voulant attraper des ombres de poissons rasant les murs de cette cité oubliée ? Le film se comprend, dans le sens où on saisit rapidement les enjeux, mais la signification de ce qui est montré est volontairement floue, bien que la dimension biblique est importante, les dialogues citant intentionnellement certains passages.
Mais c’est vraiment dans cette ambiance si particulière que L’oeuf de l’ange marque. Visuellement, le film regorge d’idées et de designs somptueux, comme cet oeil géant sifflant de la vapeur à travers une structure mécanique complexe, ou ces humains désincarnés armés de harpons aux multiples cordes tendues. On se laisse complètement porter par la découverte de cet univers, et cette manière de raconter le lore par la découverte et l’observation rappelle immédiatement ce que fait Hidetaka Miyazaki dans ses jeux From Software, comme les Dark Souls ou Bloodborne. Que ce soit la musique envoûtante ou ces ruines marquées par un désastre mythologique, il y a quelque chose de similaire, qui donne au film une aura particulière. Le design de Yoshitaka Amano rajoute encore plus à cette impression grâce aux designs élancés des quelques personnages que l’on croise ou ces décors aux formes sépulcrales.
L’oeuf de l’ange permet aussi de montrer tout le talent de metteur en scène de Mamoru Oshii. Toute la narration reste limpide malgré son aura volontairement cryptique, ponctué par des passages marquants et soulignant l’étrangeté de l’univers, comme cette belle séquence de “pêche” dans des rues européennes, symboles d’une humanité qui a désertée. Une manière de parler de la foi, de convictions, de tout ce qui peut représenter la croyance de l’homme envers des forces supérieures et de comment elle refuse de voir l’évolution à ses portes, coincés éternellement dans un cycle sans fin. L’oeuf de l’ange est une véritable pépite oubliée, qui ne parlera certainement pas à tout le monde, mais vaut le coup rien que pour sa teneur visuelle et sa puissance d’évocation.
L’œuf de l’ange / Réalisé par Mamoru Oshii / Par le studio DEEN / Sortie le 22 décembre 1985
Les films gratos du mois
Ce mois-ci: Cannes oblige, le mois de mai a été ponctué par une salve de films souvent récompensés dans ce prestigieux festival. En tête de proue, ne manquez pas Une affaire de famille, film japonais de Kore-eda qui va vous faire passer par toutes les émotions possibles. Xavier Dolan est aussi à l’honneur avec deux de ses films, tandis que Oliver Stone se distingue par trois films, dont ses deux Wall Street et l’immanquable JFK. Du très très bon cinéma ce mois-ci, et comme d’habitude, 100% gratuit.
Julie (en 12 chapitres) (Joachim Trier - 2021 - jusqu’au 14/06 )
Titane (Julia Ducornau - 2021 - jusqu’au 14/06)
La nuit du 12 (Dominik Moll - 2022)
In the Mood for Love (Wong Kar-Wai - 2000 è jusqu’au 16/06)
Le goût de la cerise (Abbas Kiarostami - 1997)
Une affaire de famille (Hirokazu Kore-eda - 2018)
Paterson (Jim Jarmusch - 2016)
Les amours imaginaires (Xavier Dolan- 2010)
Mommy (Xavier Dolan - 2014)
Cosmopolis (David Cronenbers - 2012)
Grand Central (Rebecca Zlotowski - 2013)
JFK (Oliver Stone - 1991)
Wall Street (Oliver Stone - 1987)
Wall Street: l’argent ne dort jamais (Oliver Stone - 2010)
Les ailes du désir (Wim Wenders - 1987)
Moi, Daniel Blake (Ken Loach - 2016)
Arizona Junior (frères Coen - 1987)
Playlist du mois
Ce mois-ci, de l’éclectisme autant dans les styles que dans les instruments. Côté ciné, Challengers signe le retour du duo Reznor/Ross avec un album qui sent bon la sueur sur les courts de tennis au rythme d’un tempo électrique, tandis que Michael Giacchino ira trouver l’enfance sur la BO de IF. Furiosa, Kingdom of the Planet of the Apes et Thelma the Unicorn complètent le tableau.
Côté jeux vidéos, Lorelei and the Laser Eyes ne sera pas aussi marquant qu’un certain Sayonara Wild Hearts mais garde son lot de surprises, tandis que Yamaoka est de retour sur Silent Hill, sans Elizabeth McGlynn mais avec Esther Ortega Canto qui relève tout à fait le challenge. Du boum/boum rétro avec Neurodiver ou Rungore pour les amateurs et évidemment un peu de Hades 2 dans tout ça.
Comme d’habitude, la playlist 2024 version Spotify s’étoffe tout au long de l’année, avec des morceaux des œuvres cités en rab pour les curieux.
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Misc
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