#27 - Castor junior
Ou comment une centaine de gars déguisés en castors parviennent à être plus drôles que beaucoup de comédies
Les récents résultats des présidentielles américaines ont déjà eu beaucoup de conséquences à travers le monde, et l’une d’elles est évidemment la migration d’une grande partie des utilisateurs de Twitter (X) vers d’autres réseaux sociaux, et surtout Bluesky. Ce nouveau réseau crée par Jack Dorsey (l’ancien PDG de Twitter) a eu une première grande vague d’utilisateurs il y a quelques temps, qui n’a pas forcément réussi à créer un véritable changement. Mais ce coup-ci, on a l’impression que cette seconde vague est plus définitive, avec des utilisateurs fermant leur compte X après l’annonce de Musk au gouvernement. Twitter est devenu un réseau agressif, désagréable, où les débats sont impossibles voire anxiogènes. Le climat délétère est légion et le moindre avis est tout de suite vu comme une action politique, attirant des utilisateurs qui ont du temps à perdre pour montrer leur vérité supérieure et absolue.
Bluesky, par son système de modération plus tranchée, est pour l’instant plus calme et détendu, même s’il ne faut pas se faire d’illusions: le réseau social parfait n’existe pas, la modération actuelle est à double tranchant et comme toute entreprise, grandir en taille implique de payer des gens, de trouver des revenus afin de continuer sa croissance. On pourra également amener l’argument de la bulle de filtre: on est bien sur Bluesky puisque tout le monde est du même avis, mais puisque le débat est impossible dans la pièce d’à côté, autant aller chercher de l’information ailleurs et par nous-mêmes.
Mais force est de constater qu’il est agréable de sortir de l’anxiété permanente d’un réseau comme X. L’idée n’est pas de se greffer des œillères pour éviter de regarder ce qui ne va pas mais simplement de faire la part des choses et de choisir de trouver une information plus factuelle afin de se forger sa propre opinion. Naviguer sur des eaux plus douce donne paradoxalement envie d’être plus curieux quand l’invitation est moins vindicative. On va regarder un article qu’on n’aurait pas forcément vu autrement, ou soutenir des évènements qui le méritent comme ces Indie Game Awards (c’est ce qui s’appelle de la transition).
Comme chaque année, les Game Awards peut s’apparenter aux Oscars du jeu vidéo, avec tout l’aspect commercial qui va avec et présenté par Geoff Keighley. Et comme chaque année, la sélection des meilleurs jeux est sans surprise, puisqu’il s’agit généralement des jeux les plus populaires à défaut d’être toujours les plus réussies (même si c’est généralement le cas). Cette année, seul Balatro fait office d’outsider aux côtés des gros blockbusters comme Final Fantasy VII Rebirth ou Black Myth Wukong, voire même du DLC d’Elden Ring, grâce à un subtil subtferfuge quelques semaines avant l’annonce. Shadow of the Erdtree est un excellent DLC, c’est un fait, mais puisque le jeu original a déjà été récompensé, il aurait été appréciable de mettre d’autres jeux en avant qui le méritent tout autant, voire même un autre jeu indé.
Mais fort heureusement, les Indie Game Awards viennent à la rescousse pour proposer une alternative bienvenue le 19 décembre et mettre en avant ceux qui ne seront pas sous la lumière de Keighley. On y trouve les petites pépites de l’année comme Animal Well, Lorelei and the Laser Eyes ou les excellentes surprises de l’année comme Mouthwashing ou UFO 50. Les catégories comme Solo Development ou Innovation sont là pour marquer le curseur sur certains points importants de la scène indépendante et nul doute que nous regarderons ça avec la plus grande attention.
[#série] - Disclaimer
Alfonso Cuarón manque cruellement au cinéma, mais depuis Gravity et Les Fils de l’homme, le bonhomme n’a sorti que le merveilleux Roma sur Netflix. Le réalisateur a sans doute beaucoup de projets en tête, mais il n’est peut-être pas en odeur de sainteté dans les gros studios qui préfèrent ne plus prendre de risque pour rentrer dans leur frais. Qu’à cela ne tienne, c’est Apple qui a mis le grappin sur le cinéaste mexicain afin d’adapter le livre de Renée Knight, Disclaimer.
Catherine (Cate Blanchett) est une documentariste télé, qui travaille dans une petite agence londonienne et est réputée pour son acharnement sur des sujets délicats. Elle vit avec son mari Robert (Sacha Baron Cohen) et son fils (Kodi Smit-McPhee), avec qui elle a du mal à communiquer et à assumer son rôle de mère. Elle reçoit un jour une enveloppe, sans expéditeur ou quelconque indice, contenant un livre de fiction: “The Perfect Stranger”. Mais cette œuvre raconte avec beaucoup de détails une période de sa vie passée et dévoilant un secret qu’elle aurait voulu garder pour elle. Avant que l’histoire ne soit connue de son entourage, elle va tout faire pour retrouver la personne qui a écrit ce roman, Stephen Brigstocke (Kevin Kline). Un homme qui a écrit ce livre dans le but de débuter une vengeance personnelle.
Si Cuarón a choisi d’adapter ce roman, c’est principalement parce qu’il touche à une thématique qui lui tient à cœur, et qu’il explore depuis son Roma il a six ans: la dramaturgie au sein d’une cellule familiale, ou comment une vie en apparence banale cache des fêlures bien plus profondes. Disclaimer exploite les secrets familiaux et les regrets que l’on a sur certains choix de vie, où le choc des générations entre les parents et les enfants engendre un fossé moral et culturel. Chaque parent veut ce qui est bon pour ses enfants, sans pouvoir le comprendre, tandis que ceux-ci ont l’impression de les voir comme des obstacles à leur liberté.
Mais Disclaimer aborde surtout l’idée du contexte et du point de vue, et de comment les histoires prennent le pas sur la réalité, comment les gens autour de nous peuvent interpréter nos actes, simplement parce que nos convictions en l’âme humaine sont plus fortes que des faits. La série pointe du doigt les préjugés qui peuvent littéralement ruiner des vies. On jongle entre plusieurs temporalités et le récit du livre, alors que l’histoire distille les nombreuses révélations tout au long des épisodes. Le narrateur a également une place importante dans le récit: on se retrouve à la fois à suivre les mésaventures de Catherine et du reste de sa famille via une narratrice inconnue, tandis que le plan de vengeance de Brigstocke sera racontée par lui-même. On marque alors la différence de l’histoire montrée suivant plusieurs points de vue mais aussi avec différents niveaux de recul, alors que l’histoire du roman bénéficie d’un traitement bien plus “cinématographique”, à la fois dans sa mise en scène et dans son écriture.
Une mise en scène soutenue par un Cuarón en grande forme. Le cinéaste n’avait plus grand chose à prouver sur son travail de metteur en scène après Les fils de l’homme ou Gravity, mais dans le domaine du thriller psychologique, Cuarón se révèle tout à fait à l’aise quand il s’agit d’amener une tension avec simplement une discussion entre deux personnages par messagerie instantané, ou venir glisser un jeu de séduction très évocateur. Mais Disclaimer, de part son titre qui fait référence au fameux “Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d'une pure coïncidence”, joue sur plusieurs tableaux à la fois car il donne la voix à plusieurs narrateurs. L’occasion pour Cuarón de s’amuser avec les genres pour mieux créer des ruptures de ton. On peut être facilement amusé par la joie cruelle de Brigstocke ou estomaqué par la violence psychologique subie au sein de la famille Ravencroft, mais tout arrive à cohabiter à merveille parce que la mini-série déjoue les attentes du spectateur pour mieux délivrer son propos fort. Pas question d’en parler ici sous peine de spoiler, mais Disclaimer est une série très actuelle en amenant beaucoup de discussions sur ces familles qui peuvent se retrouver brisée en un clin d’œil, ou quand le quotidien en apparence tranquille peut dissimuler des choses bien plus tragiques. Un bien joli tour de passe-passe, et l’une des séries de l’année pour beaucoup.
Disclaimer / Avec Cate Blanchett, Kevin Kline, Sacha Baron Cohen, Kodi Smit-McPhee / Mini-série de 7 épisodes / Disponible sur Apple TV+
[#comics] - Ginseng Roots
Craig Thompson est un auteur pas si prolifique que ça (moins d’une dizaine de livres en près de 30 ans de carrière), souvent expliqué par la taille de ces ouvrages (dans les 400 pages) mais aussi parce que c’est un artiste qui se plonge corps et âme dans ses recherches pour arriver à un résultat qui lui convient. Il connaîtra une renommée importante grâce à Blankets, sorti en 2003, narrant sa propre enfance dans le Wisconsin et l’éducation très stricte et religieuse qu’il a reçu de ses parents. Il y évoque des thématiques familiales fortes au sein d’une Amérique profonde en proie à la forte influence religieuse qui aura beaucoup impacté sa vie. Son ouvrage suivant, Habibi, conte une histoire de deux enfants au sein d’un pays arabe imaginaire, mais Ginseng Roots le fait revenir à ses racines et mesure le temps qui est passé entre son adolescence et sa vie d’adulte actuelle.
On y suit donc Craig qui revient dans la maison familiale pour chercher un remède en médecine douce à des soucis de santé qui peuvent impacter son travail de dessinateur. Il se souvient de ces vacances où il travaillait avec son frère Phil et sa sœur Sarah, donnant un coup de main à ses parents pour s’occuper des champs de ginseng dans le Wisconsin. Il découvre alors d’un œil neuf le commerce du ginseng et de comment cette culture a impacté sa propre vie mais aussi celles des personnes qu’il a croisé durant son adolescence. Il va alors rencontrer les habitants du coin et entamer des recherches pour découvrir l’origine du ginseng et son sens caché mais aussi se rapprocher de sa famille et chercher à mieux la comprendre à travers ses souvenirs du passé.
Alors que ses autres ouvrages versaient bien plus dans la fiction et l’autobiographie, Thompson aborde l’histoire de Ginseng Roots de façon bien plus factuelle. Il n’est pas question de retracer l’histoire de la culture du ginseng de façon classique, mais bien de parler de ce domaine au sens large, c’est-à-dire en retraçant les origines de cette plante mais aussi sa signification, le contexte où elle a été utilisée et les gens qui vivent de cette culture. Un vrai travail de documentaire, où l’auteur prend aussi beaucoup de place pour narrer ses propres angoisses vis-à-vis de son travail et de ses relations familiales. Ces vacances passées dans les champs sont tout autant une manière de se rappeler sa vie de famille que de constater que les années ont passé et que certaines mentalités ont changé. Le parallèle avec le ginseng est vite abordée: une graine particulière qui refuse de repousser au même endroit, comme ces nouvelles générations de fermiers qui ont du mal à rester sur place, que ce soit à cause du travail éreintant ou d’ambitions nouvelles, confronté à un certain immobilisme de l’ancienne génération qui ne fait que ce qu’elle connaît. L’évolution du ginseng suit celle de l’auteur qui y évoque ses propres tragédies mais aussi celles de ses anciens camarades, prenant le temps d’évoquer les difficultés de l’isolement ou la situation des réfugiés Hmong.
Mais si le livre est très dense et bavard, riche en informations tout en restant passionnant, il arrive à faire passer l’aspect documentaire par une touche graphique imparable. Le style de Thompson est reconnaissable entre milles, croquant chaque personnage comme le centre de son récit. Les paysages sont subtilement traités et, tout comme il l’avait fait pour Habibi, il emprunte beaucoup de la typographie orientale pour agrémenter ses planches et dynamiser le découpage, en jouant sur les motifs et les estampes. Tout ce mélange magnifie chaque planche, sortant allègrement du format classique des cases pour illustrer l’aspect documentaire d’une bien belle façon. Les teintes rouge-oranges fonctionnent à merveille, utilisés à bon escient, avec un vrai bel équilibre pour ne jamais trop surcharger les pages. Le bouquin a beau faire 450 pages, on plonge avec délice dans ce monde que l’on ne soupçonnait pas, partageant avec l’auteur ses souvenirs et ses angoisses. Encore une sacrée œuvre.
Ginseng Roots / Craig Thompson / Editeur: Casterman / 448 pages / One Shot / 27 euros
[#jeu vidéo] - Live A Live
Retour en 1994. Final Fantasy VI vient tout juste de sortir chez Squaresoft et est acclamé par beaucoup comme l’un des plus grands J-RPGs. Mais la Development Division 5 de Square s’apprête à sortir un autre titre quelques mois plus tard: Live a Live. Dirigé par Takashi Tokita, qui a travaillé sur Final Fantasy IV notamment, le bonhomme avait l’idée de créer un jeu racontant plusieurs petites histoires autonomes au lieu de devoir gérer un grand arc narratif héroïque comme le font tous les J-RPGs de cette époque, avec pour ambition que les histoires ne soient pas trop longues et qu’elles soient satisfaisantes pour le joueur. Le jeu sort en septembre 1994 et a connu un succès assez relatif, notamment par rapport aux attentes de Square qui visait les chiffres des Final Fantasy. Mais il aura marqué les esprits par son expérience assez unique et il restera inédit au Japon, et ce, même lors de sa sortie sur console virtuelle de la Wii U en 2015. Mais c’était avant l’annonce du remake et de sa venue en Occident.
Le remake de Live a Live sort donc en juillet 2022 et bénéficie du traité graphique devenu un standard chez Square-Enix, le fameux “HD-2D” que l’éditeur met à toutes les sauces, à la fois dans ses nouveaux jeux (Octopath Traveler, Triangle Strategy) que dans ses autres remakes (Dragon Quest III 2D-HD). Il s’agit de garder tout en améliorant les sprites de l’époque pour les personnages et de les incorporer dans des décors 3D simples et pixellisés pour que l’ensemble soit cohérent. Une manière de conserver l’esthétique de l’époque en la modernisant, qui fonctionne plutôt bien dans la plupart des cas. Concernant Live a Live, cela permet également de maximiser les quelques effets de mises en scène. Une vraie redécouverte pour les anciens fans, et les nouveaux découvriront ce fameux système de jeux reposant sur plusieurs histoires qui permet dès le début de commencer par n’importe lequel des sept scénarios.
On commence donc le jeu par devoir choisir une histoire, chacune d’elles se déroulant à une époque différente: la préhistoire, le far-west, le présent, le futur lointain… Autant de promesses qui titillent la curiosité. Pas de meilleur choix qu’un autre: on débute systématiquement avec un héros et un contexte différent, pour une aventure qui peut osciller de 1 heure à 3-4 heure de jeu. Et on comprend très vite une chose: si les histoires sont différentes, certaines mécaniques de gameplay le sont aussi, spécifique à chaque histoire. L’une d’elles vous donnera la possibilité de crafter de l’équipement tandis qu’une autre vous demandera de former de jeunes guerriers mais en choisissant celui que vous voulez faire progresser plus que les autres. L’un des scénarios plus intéressants est sans conteste celui se déroulant au Japon d’Edo: vous dirigez un ninja s’infiltrant dans un château, et ce sera à vous de trouver votre chemin en explorant ce grand niveau et surtout de choisir entre l’infiltration totale ou l’attaque plus frontale, sachant que le château regorge de pièges, de chausse-trappes et d’embuscades en tout genre.
L’une des composantes communes à toutes ces aventures réside dans son système de combat, qui prend déjà à contrepied beaucoup de J-RPGs de l’époque. Combinant le tour par tour classique avec le tactical que l’on voit déjà émerger, Live a Live propose un système de damiers où chaque personnage repose sur une case, mais avec une hitbox lié à la taille de son sprite. Lors du tour de notre personnage, on peut le déplacer à sa guise sur le damier, mais chaque déplacement remplit la barre d’action de l’adversaire. Si par exemple on avance de trois cases, l’ennemi pourra alors effectuer une action si sa barre est remplie, que ce soit se déplacer ou attaquer si vos personnages sont atteignables. Chaque attaque possède sa propre zone d’effet (en diagonale, au corps à corps, parfois sur plusieurs cases à la fois), mais aussi un effet associé afin d’exploiter les faiblesses des ennemis. Certaines attaques puissantes ont besoin d’un temps de préparation, qui peuvent être interrompues par une frappe adverse bien placée.
Un système de jeu pas forcément bien expliquée pendant les tutoriaux, et il faudra quelques expérimentations pour comprendre que le positionnement de ses personnages et l’anticipation des attaques ennemies est important dans les combats. Le grind est parfois obligatoire pour mieux encaisser certains duels mais le jeu reste plutôt accessible. Certains combats agissent comme des énigmes et on aurait aimé en voir plus, et il manque sans doute un peu plus de profondeur dans la gestion des compétences ou l’équipement de ses combattants. Les personnages ont une évolution très linéaire, excluant un minimum de personnalisation, mais le jeu n’a pas pour vocation d’avoir le meilleur système de combat.
Mais si on s’accroche à Live a Live, c’est surtout pour toutes les petites idées qu’il dissémine et son rapport avec les codes du J-RPG. Toutes les histoires ne sont pas qualitatives, certaines sont même peu intéressantes, et quelques choix narratifs (l’absence de dialogues) ou structurels (map avec énormément d’allers-retours) rendent parfois les histoires un peu lourdes sur la durée, mais la faible durée des récits fait qu’on ne s’y attarde pas trop longtemps, excité par la curiosité de la prochaine temporalité. Bien évidemment, la partie finale est là pour raccrocher les wagons et parvient à surprendre par la dramaturgie qu’il dévoile en allant à contrepied du J-RPG tel qu’il apparaît dans les années 90. Le dernier segment bien caché montre que Live a Live n’est pas juste une anthologie de petites histoires mais bien d’une lettre d’amour pour tous ces héros qui sacrifient tout pour leurs idéaux, jusqu’à parfois l’inévitable.
Comme dit plus haut, Live a Live porte aussi tous les stigmates d’un J-RPG de l’époque, et ce malgré toutes les améliorations fortement bienvenues dans ce remake, comme certaines réécritures, une mini-map indispensable et évidemment le graphisme au diapason, ainsi que les fabuleuses musiques de Yôko Shimomura, histoire que le thème Megalomania résonne encore plus fort dans vos oreilles. Il y a toujours ces moments de flottements où le jeu a du mal à garder le rythme et on retrouve avec “bonheur” (non) les combats aléatoires qui tombent dans les donjons, que l’on peut heureusement fuir la plupart du temps. La promesse de rapidement switcher de contexte aide beaucoup à faire passer la pilule pour remettre le titre dans le contexte de l’époque. On retient alors Live a Live comme une vraie perle méconnue des années 90, qui nous arrive enfin en Occident, et il aurait été dommage de louper ça.
Live A Live / Développé par Square Enix / Sortie le 22 juillet 2022 / Disponible sur Switch, PS4/PS5, PC / Prix: 50 euros
[#film] - Hundred of Beavers
Dans le monde du cinéma, quand on voit le manque de créativité des grosses productions et leur incapacité à se renouveler, on se dit qu’on a tout fait, tout vu, et que plus rien n’est possible créativement parlant. Puis lorsque l’on creuse, on trouve une pépite singulière, celle qui va raviver cette petite flamme cinéphile juste parce qu’un gars a décidé de faire les choses autrement avec le peu de moyens qu’il avait. Ce gars s’appelle Mike Cheslik et son premier film, Hundred of Beavers, est devenu une oasis de fraîcheur pour tout ceux qui cherchent de la nouveauté.
Le film commence étrangement: on débute dans un noir et blanc digne d’un film de Chaplin, avec un clip mettant en scène un homme dans l’Amérique du XIXème siècle complètement bourré et se baladant sur une exploitation de cidre en chantant, avant que son domaine soit détruit par des castors désossant un fût géant qui ruine totalement notre héros. Une bien étrange introduction sur laquelle il ne faut pas s’attarder puisque très vite, le bonhomme doit survivre dans une faune sauvage et un froid mordant, et va devenir, petit à petit le trappeur le plus efficace que la Terre ait connu. C’est le début d’une aventure loufoque et muet, bercée par un sound design cartoon, des onomatopées hilarantes et une musique parfaite, c’est tout Tex Avery ou Keaton qui est convoquée pour installer un humour omniprésent.
Car oui, le film est drôle et assume complètement son aspect fauché grâce à une inventivité de tous les instants. S’il y a trappeur, il y a des animaux. Mais les animaux à dresser ça coûte cher. Première idée géniale: prenons des humains et mettons-leur des costumes d’animaux géants. Au fil du film, on enchaîne les petites séquences absurdes, enchaînant les gags à un rythme effréné, et s’amusant avec un comique de répétition délicieux. Le film commence à installer ses propres règles et codes visuels forts, comme une espèce de Don’t Starve qui ne dit pas son nom, afin de faire progresser le personnage. Le graphisme et l’aspect fauché deviennent clairs et permettent toutes les folies, avec incrustations foireuses et idées lumineuses à la clé. On pourra y voir une certaine linéarité dans le déroulé du film, voire une lassitude, mais chaque séquence possède une vraie force humoristique et un savoir-faire du DIY pour créer une rythmique digne des Looney Tunes, alternant du slapstick hilarant et des cadrages de perspective impossibles.
Le petit miracle du film est de réussir contre toute attente à ne pas se résumer à une simple succession de sketches. Il y a de vrais enjeux, de véritables surprises (la dernière ligne droite possède des séquences fabuleuses digne des jeux de plateformes) et le niveau de créativité ne baisse jamais. Tout est soigné, rythmé, s’enchaîne extrêmement bien, et réussit à faire rire en digérant des codes de la culture internet sans jamais les citer explicitement. C’est fou de constater à quel point le film ne lâche jamais ses ambitions, et va jusqu’au bout de ses idées. Très hâte de voir ce que Mike Cheslik nous réserve pour la suite de sa carrière, mais Hundred of Beavers est de ces films qu’il suffit de relancer lors d’un coup de blues et qui réchauffe le cœur par ses fous rires - pour peu que vous soyez sensible à ce genre d’humour - et son inventivité extraordinaire.
Hundred of Beavers / Réalisé par Mike Cheslik / Avec Ryland Brickson Cole Tews, Olivia Graves, Doug Mancheski / Sortie le 30 octobre 2024 (disponible sur Filmo)
Les films/séries gratos du mois
Ce mois-ci : une belle sélection cinéma, avec France.tv qui propose des films avec un beau casting comme Family Business, mais surtout la restauration du Napoléon d’Abel Gance, une curiosité d’il y a presque cent ans et proposée dans sa version intégrale de 7 (!) heures. Côté Arte, grosse sélection récentes de films primées comme Sans Filtre, mais aussi une thématique de la grande cinéaste belge Chantal Akerman.
Jusqu’à la garde (Xavier Legrand - 2017)
Napoléon vu par Abel Gance (Abel Gance - 1927)
Family Business (Sidney Lumet - 1999)
Frantz (François Ozon - 2016)
Le maître du jeu (Gary Fleder - 2003)
Sans Filtre (Ruben Ostlund - 2022)
La conspiration du Caire (Tarik Saleh - 2022)
Les nuits de Mashhad (Ali Abbasi - 2020)
Pacifiction (Albert Serra - 2022)Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles (Chantal Akerman - 1975))
Golden Eighties (Chantal Akerman - 1985)
Je Tu Il Elle (Chantal Akerman - 1973)
La Captive (Chantal Akerman - 2000)
Les rendez-vous d’Anna (Chantal Akerman - 1980)
La folie Almayer (Chantal Akerman - 2023
Playlist du mois
Ce mois-ci, une petite fournée pas piquée des hannetons. Le gros morceau pour tous les fans du genre, c’est évidemment la sortie de la BO du remake de Silent Hill 2, avec le retour d’Akira Yamaoka, reprenant certains morceaux avec d’autres inédits. Les DLC de jeux ont aussi la part belle avec celle de Elden Ring (Shadow of the Erdtree) et de Blasphemous 2 (Mea Culpa). Côté ciné/séries, Gladiator 2 se pose dans les blockbusters, mais comment passer à côté de l’opening de l’anime Dandadan.
Comme d’habitude, la playlist 2024 version Spotify s’étoffe tout au long de l’année, avec des morceaux supplémentaires des œuvres cités pour les curieux.
» Accéder à la playlist Spotify de 2024
Playlist Youtube accessible en cliquant sur l’image
Misc
C’est les 20 ans de ce jeu fantastique qu’est Half-Life 2, et pour célébrer ce petit événement, Valve a sorti un documentaire de deux heures pour retourner dans les coulisses de la création de ce chef d’œuvre (VAST).
La chaîne Archipel nous régale comme d’habitude avec un petit documentaire sur le nouveau jeu des créateurs de Persona: Metaphor: ReFantazio.
Petite analyse intéressante sur l’acteur Ryan Reynolds et son influence dans le paysage cinématographique depuis l’explosion de Deadpool et la façon dont il fait le marketing de tous ses projets
Si vous avez aimé Neva et surtout les musiques du jeu signé Berlinist, voici un petit concert capté en Espagne
Passionnante rétrospective de la saga Hitman par Toujours Thomas, pour observer l’évolution de cette série de jeux à l’aune du tout dernier qui réussit à parachever la vision ultime de la licence.
Blow Up continue ses formats concentrés sur une année particulière, et 2001 aura réservé quelques surprises