#2 - Permis automnal
Deuxième newsletter. La logique aurait voulu qu'elle soit lue sous un plaid avec un chocolat chaud, mais ça sera finalement en tee-shirt et quelques moustiques écrasés sur le bras. Certes, les terrasses restent agréables un peu plus longtemps, mais l'époque des petites balades automnales en grosse parka avant d'aller se réchauffer est encore loin.
Ce n'est certainement pas la profusion ahurissante de séries qui va nous inciter à sortir de chez nous. Chaque studio, chaque chaîne, tente d'imposer sa plate-forme, ses productions originales, à coups de castings prestigieux et d'adaptations à gros budget pour attirer le chaland. Si le piratage rôde dans l'ombre pour faire son grand retour, vu le nombre d'abonnements qu'il faut pour tout passer en revue, ça n'empêche pas une variété et une qualité de production grandissante (et pas forcément aux endroits les plus évidents).
Mais chacun ne part pas avec les mêmes armes. Disney veut montrer qui est le patron, jusqu'à mettre la pression au CNC en menaçant d'arrêter de sortir les dernières productions Marvel. L'objectif ? Dégager la fameuse chronologie des médias, l'exception française qui oblige Disney à attendre 17 mois après le cinéma pour ajouter les films sur Disney+ (contre seulement 2 mois aux USA et le reste du monde). Une arme efficace, tant les films Marvel sont l'un des gros arguments pour faire venir les gens en salles, mais maintenir la chronologie des médias permet de financer en partie la production cinématographique française. Disney met donc les bouchées doubles pour motiver les gens à passer sur Disney+, et donc abandonner peu à peu les salles de cinéma: le serpent qui se mord la queue n'est plus très loin.
Ce qui ne fait que renforcer ce changement profond qui est en train d'arriver: les gens vont de moins en moins au cinéma parce que la proposition de contenu est plus satisfaisante sur les plates-formes. Les producteurs sont de plus en plus frileux de financer un projet de film un peu audacieux, ce qui motive les plus grands réalisateurs (Scorsese, Iñárritu, Fincher) à tenter leur chance sur des plates-formes prêtes à attirer les plus grands. Bref: la consommation des films/séries est en train de changer profondément et nul doute que les années à venir seront... intéressantes à suivre.
[#comics] - Supergirl: Woman of Tomorrow
Tom King nous régalait déjà depuis quelques années en tant que scénariste de comics lorsqu'il a entrepris de s'attaquer à des personnages moins communs de l'univers DC Comics. Alors que son énorme run de Batman reste qualitatif mais s'essouffle sur la fin, il propose avec Mister Miracle et Strange Adventures une revisite de deux personnages obscurs, deux récits complets qui interrogent à la fois sur le rôle d'un héros au sein du carcan familial et aussi de ce qu'on est prêt à accomplir pour garder son statut de héros. King est également connu pour avoir travaillé au sein de la CIA, et notamment pendant la guerre en Irak (une de ses premières œuvres, l'excellent The Sheriff of Babylon, est ancré dans ce contexte) et il est intéressant de voir à quel point son expérience est utilisé pour parler de la façon dont les super-héros doivent gérer leur émotions ou leur sens moral pour ne pas que leur image s'effondre.
Pour Supergirl: Woman of Tomorrow, Tom King choisit ici aussi un personnage plus mineur, même si son existence est connu du grand public. Malgré sa proximité avec Superman (sa cousine), Supergirl a longtemps été boudé au point de ne plus avoir de série régulière depuis un moment. Comme pour ses autres récits, King part d'une base accessible pour que n'importe qui puisse aborder l'histoire sans avoir besoin d'un quelconque bagage. Le pitch est simple: sur une planète inconnue, une jeune humanoïde, Ruthye, désire se venger d'un bandit sanguinaire qui a tué sauvagement son père. Elle part seule, armée de son épée familiale. Elle tombe alors dans un bar pour retrouver le meurtrier mais elle croise également le chemin de Kara Zor-El, alias Supergirl, en pleine descente d'alcool pour fêter son 21ème anniversaire.
S'ensuit une aventure aux confins de la galaxie qui n'hésitera pas à piocher dans une imagerie SF, loin de tout le lore supermanesque qui aurait pu perdre le lecteur curieux. Superman n'apparaîtra pas même si son aura reste présente car liée au background de Supergirl. C'est dans la différence avec son célèbre cousin que Tom King va justifier ce "revenge movie" , dont les conséquences pourraient à jamais les idéaux de l'héroïne. Si tout le monde connaît les origines et la personnalité de Superman - soit un boyscout positif et bienveillant, qui a échappé à la destruction de Krypton quand il était enfant - Supergirl, elle, n'a pas eu cette chance et a souvent été relégué au second plan. Elle a bel et bien vécu la destruction totale de son monde et de ses proches, étant déjà adolescente contrairement à son cousin. Et une fois sur Terre, pas question de vivre sa vie: sa mission était de veiller sur Kal-El/Superman jusqu'à son âge adulte. Woman of Tomorrow arrive donc à un moment crucial. Voilà Kara adulte, libérée de ses obligations, mais qui a dû vivre dans l'ombre de Superman, et sa première mission est celle d'une vengeance. On naviguera donc entre flashbacks, moments d'isolements, tout en accompagnant une Ruthye que Kara veut préserver de tout acte qui pourrait la transformer. Une histoire passionnante, qui utilise les artifices de King pour apporter une couche supplémentaire au fil de l'histoire. Ça peut paraître décousue car chaque chapitre apporte une pierre à l'édifice sans forcément développer une linéarité fluide mais ça donne une certaine force et profondeur aux personnages.
Mais le livre ne serait pas ce qu'il est sans les magnifiques dessins de Bilquis Evely. Déjà à l'œuvre sur les séries récentes de Sandman de Si Spurrier, elle propose ici un trait riche et détaillé, sublimé par les couleurs pastels de Matheus Lopez qui rend l'atmosphère des planètes chatoyantes, sans jamais dénoter lorsqu'il faut apporter un peu d'ambition sur les différents environnements. Les personnages sont expressifs et l'ensemble rappelle la BD européenne. La mise en page est au diapason, parfaitement équilibrée avec l'écriture de King qui profite de la voix de la narratrice pour apporter du corps au récit. La traduction française arrive à bien retranscrire le phrasé typique du personnage de Ruthye, ce qui apporte une singularité appréciée. Une vraie réussite sur tous les points et un album one-shot hautement recommandable, même si vous ne connaissez rien au personnage.
Supergirl: Woman of Tomorrow / Ecrit par Tom King, dessinée par Bilquis Evely / Éditeur: Urban Comics
[#série] - For All Mankind
Et si, en ce jour de juillet 1969, ce n'était pas Neil Armstrong qui avait posé le premier pas sur la Lune, mais Alexeï Leonov ? For All Mankind, série produite par Sony Pictures et diffusée sur Apple TV+, raconte l'histoire de cette uchronie qui débute sur la transformation d'un événement historique pour déboucher sur une véritable course spatiale bien plus ambitieuse que notre réalité. Cette uchronie, on la doit à Ronald D. Moore, d'abord connu pour avoir produit du Star Trek (New Generation et Deep Space Nine) mais surtout pour avoir créée Battlestar Galactica (version moderne) et Outlander. Quelqu'un qui a donc un peu de bouteille dans le domaine de la science fiction, mais qui va cette fois s'attaquer à une réalité bien plus proche de nous, tout en se préoccupant des retombées mondiales et géopolitiques de cette uchronie.
Dans For All Mankind, tout du moins durant la première saison, on est immergé dans la conquête spatiale qui avait lieu entre l'URSS et les USA dans les années 70, avec ce que l'on connaît de tensions idéologiques et chasses aux sorcières. L'Amérique ne supportant pas de voir le drapeau rouge sur la Lune, le pays va mettre la pression sur la NASA pour être les premiers dans d'autres domaines, comme l'installation d'une base lunaire. C'est le principal attrait de la série: voir au fil des saisons comment cette guerre technologique va prendre sa place dans l'Histoire, et comment les motivations humaines et émotionnelles de quelques personnages vont impacter le futur de toute l'humanité. Et même si la série privilégie des arcs narratifs à l'échelle humaine, elle possède une certaine maîtrise du spectacle.
Entre Ed Baldwin (Joel Kinnaman), pilote vétéran et mascu en puissance et son poto Gordo Stevens (Michael Dorman), un peu trop penché sur la boisson et autres troubles psychiques, la série parle d'une époque où les femmes doivent se retrousser les manches pour être sur le devant de la scène. For All Mankind tire son épingle du jeu grâce à plusieurs figures, comme Margo (Wreen Schmidt), petite protégée du bien connu Werhner von Braun et qui fera tout pour gravir les échelons de la NASA, ou Tracy Stevens (Sarah Jones), d'abord femme d'astronaute, mais qui saisira l'occasion de faire ses preuves lorsque la NASA voudra jouer dans la même cour que les russes en créant un programme pour entraîner des femmes à aller dans l'espace.
Beaucoup de sujets traités donc, mais avec une efficacité redoutable et un sens du cliffhanger qui marche pratiquement à tous les coups. La série Apple TV+ a du budget et ne lésine pas sur les scènes dans l'espace. Le rythme ne faiblit pas et la série a l'intelligence de ne jamais perdre de temps, quitte à utiliser des ellipses surprenantes pour relancer les enjeux et faire évoluer ses personnages. Sans trop en dire sur le reste des saisons (et attention à ne pas trop fouiner sous peine de se faire spoiler les saisons 2 et 3), For All Mankind propose une certaine ambition au fil des épisodes et c'est tant mieux. On prend un vrai plaisir au visionnage et la saison 3 qui vient de se terminer ne fait que confirmer les grandes qualités de cette série de science-fiction qui mériterait d'être plus connue.
For All Mankind / Créateur: Ronald D. Moore / Avec Joel Kinnaman, Wrenn Schmidt / 3 saisons de 10 épisodes chacune / Dispo sur Apple TV+
[#série] - The Bear
Petit événement télévisuel de l'année 2022 aux USA, The Bear débarque enfin en France via Disney+. Diffusé sur la chaîne Hulu et déjà à l'origine de petites pépites comme Ramy, Dopesick ou Devs, The Bear raconte l'histoire de Carmy Berzatto, un jeune chef cuistot qui sort tout juste d'une prestigieuse école de cuisine et récupère le restaurant de son grand frère après la mort de ce dernier. Un petit boui-boui de Chicago criblé de dettes, où se mélangent une hygiène douteuse, un "cousin" à côté de la plaque et des cuisiniers qui bossent chacun dans leur coin. Un bordel sans nom que Carmy va devoir gérer pour proposer ses propres plats et créer un restaurant dont son frère pourrait être fier.
The Bear, c'est avant tout un chaos ambiant. Dès le premier épisode de 30 minutes et le début du service, le spectateur se retrouve plongé en même temps que Carmy qui tente tant bien que mal de satisfaire ses envies nouveauté tout en supervisant ses cuisiniers, les problèmes d'approvisionnement et l'arrivée d'une nouvelle venue, Sydney. Une entrée en matière qui peut paraître abrupte tant le bouillonnement constant, l'énergie déployée et la caméra embarquée donnent une première approche un peu épuisante. On ressort de là lessivée, mais intriguée.
Car on sent que les personnages ont du répondant, du charisme. Les cuisiniers ne sont pas juste là pour la figuration (même s'ils n'auront pas tous la même importance) et on a envie de les suivre jusqu'au bout de ces huit petits épisodes. En particulier grâce à Jeremy Allen White, l'acteur qui incarne Carmy et que certains connaissent déjà pour avoir joué Lip dans la version US de Shameless. Parfaitement à l'aise dans ce rôle qui a l'air taillé pour lui, il incarne un jeune chef prêt à exploser à n'importe quel moment, toujours à fleur de peau mais qui retranscrit à merveille le côté passionnel de son personnage. Ayo Edebiri est elle aussi excellente en Sydney, seule personnage capable de lui tenir tête et dont son arc narratif ne demande qu'à être exploitée. Tous parviennent à tirer leur épingle du jeu, tous possède une carapace qui se perce de temps à autre, et le fantôme du frère disparu plane constamment au-dessus de la série.
Et c'est vraiment sur la longueur que The Bear révèle toute sa puissance. La caméra se pose, la mise en scène privilégie les ruptures de tons et change son timing pour apposer des moments de calme qui permettent de donner du temps aux scènes plus émouvantes. On apprend à connaître les personnages, et c'est ce qui rend la série aussi savoureuse que les plats qu'elle montre à l'écran. Il y a de l'humain dans The Bear, autant dans ses personnages que dans l'aspect culinaire, parfait pour accompagner les émotions et ce qu'il s'y passe. La série capte l'essence de la cuisine à taille humaine (merveilleux épisode 7) et la saison se termine sur une note déchirante, qui donne simplement envie de les suivre bien plus loin. Ça tombe bien: la saison 2 est d'ores et déjà annoncée.
The Bear / Créateur: Christopher Forer / Avec Jeremy Allen White, Ayo Edebiri / 1 saison de 8 épisodes / Dispo sur Disney+
[#jeu vidéo] - Dome Keeper
Petit jeu développé par Bippinbits (composé en tout et pour tout de deux personnes), Dome Keeper repose sur un concept très simple: vous êtes propulsé dans la peau d'un petit explorateur sur une planète inconnue, uniquement protégé par un dôme. Le souci c'est que cette planète est plutôt hostile et que des vagues d'ennemis vont tenter de détruire ce dôme pour vous éliminer, et vous n'avez qu'un petit laser se déplaçant le long de la structure pour vous défendre. Un seul moyen: creuser sous terre pour aller déloger des ressources qui vont améliorer votre équipement et armement et ainsi tenir aussi longtemps que possible.
Un gameplay finement ciselé, aidé par un graphisme pixel art aux petits oignons et dont l'environnement sonore ne fera qu'exacerber les coups de foreuse de votre personnage ou les tintements des cristaux que vous allez remonter à la surface. Le mode principal possède quand même un objectif: il faudra dénicher un artefact sous terre, capable de mettre fin aux assauts ininterrompus, et de plus en plus violents. Heureusement, les améliorations sont fichtrement efficaces pour temporiser entre deux sessions de forage: puissance et rapidité du laser, dégâts de votre foreuse, capacité de transports des ressources pour ne pas être ralenti lors de vos nombreuses remontées... Beaucoup de choses sont améliorables au fur et à mesure que vous vous engouffrez de plus en plus profondément.
Certains bonus seront aussi déblocables aléatoirement, pour peu que vous trouviez des modules spéciaux. Mais ils seront indispensables à votre survie, tant ils apportent de précieuses aides: ascenseur pour remonter automatiquement les ressources, second laser automatique, bombe pour creuser plus vite, tout ceci sera également customisables et il faudra réussir plusieurs runs pour tout débloquer. Il existe également un autre type de dôme que l'on obtient, modifiant totalement la façon de jouer, de même que certaines capacités destinés à ralentir les ennemis. Bref, beaucoup de choses à tester, sur des parties pouvant être allongés grâce à différentes tailles de cartes voire même un mode Infini qui ne sera là que pour vous forcer à rivaliser d'ingéniosité et de précision pour tenir le plus longtemps possible.
Reste que Dome Keeper livre assez rapidement ses secrets. On tombe vite dans une forme de répétition, la boucle de gameplay se révélant assez simple une fois que tout est débloquée. Mais les parties sont toujours plaisantes à faire quand on a un peu de temps devant soi. Et les développeurs sont loin d'avoir tout livré: ils affirment que le jeu va bénéficier d'un suivi sur le long terme pour ajouter toujours plus de contenu. On attend que ça.
Dome Keeper / Développeur: Bippinbits / Dispo sur Steam
La playlist du mois
Chaque mois, une playlist de dix morceaux sélectionnés parmi des soundtracks de films ou de jeux vidéos sera mise à disposition. Ce mois-ci, on essaye d'être dans l'actu. Côté cinéma, forcément, Les anneaux du pouvoir truste la playlist avec le merveilleux boulot de Bear McCreary, mais aussi d'autres grosses productions comme Andor de Nicholas Britell ou Top Gun Maverick, la grosse machine de chez Hans Zimmer. Côté jeux, il y a de l'indé (Dome Keeper, Scorn) ou de la grosse production comme Mario + Lapins Crétins 2 et l'inévitable A Plague Tale: Requiem par Olivier Deriviere.
AIGRIE CULTURE VOL.2 / OCTOBRE 22 — www.youtube.com PLAYLIST AIGRIE CULTURE VOLUME 2 MOVIES & VIDEO GAMES SOUNDTRACK
La soundtrack du mois
Tout ça ne date pas d'hier, mais il fut un temps où les jeux musicaux avaient la côte, et parmi eux: DJ Hero fut celui qui a tenté une percée dans le domaine du remix. Que vous ayez joué ou non au jeu, il serait dommage de passer à côté d'une incroyable playlist de près de 100 morceaux, composés uniquement de remix de titres connus, passant de Queen à Beastie Boys, ou mixant du David Bowie avec du 50 Cent. Et le résultat est assez incroyable, parfait pour bosser avec du bon rythme dans la tête.
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Misc
> The Crown revient avec son avant-dernière saison, malgré la récente disparition de la reine d'Angleterre. On sait tous quelle période cette saison va aborder, le tout avec encore une fois un casting tout neuf et que l'on a hâte de voir en mouvement, début novembre
> Le studio 4C, bien connu des fans de japanimation, a commencé il y a maintenant plus de 20 ans par des courts-métrages plus ou moins connus. Aujourd'hui, ils ont pris le temps de restaurer l'un des plus anciens, Noiseman Sound Insect, avec un certain Masaaki Yuasa (Mind Game) à plusieurs postes.
> Vidéo intéressante sur l'étonnante percée du blockbuster indien, à l'heure où les productions américaines connaissent une fatigue générale. Et évidemment, quel autre meilleur exemple que le récent et incroyable RRR pour illustrer ce propos.
> Immersion totale durant cinq petites minutes dans le cinéma de Martin Scorsese à travers certaines des plus belles séquences de sa filmographie.
> Chez Arte, on aime les productions atypiques, et la série documentaire _Underscore le montre bien. Cinq petits épisodes sur les recoins sombres de la pop culture, réalisées par Gilles Stella (Chroma) et narrées par la voix suave de Alt236
_Underscore — www.youtube.com Share your videos with friends, family, and the world