#1 - La rentrée atmosphérique
Quoi de mieux qu'une newsletter pour faire des recommandations culturelles ponctuelles mais régulières ? Quoi de mieux encore qu'une newsletter pour parler de films, de séries, de BD ou de jeux vidéos ? Quoi de mieux, enfin, qu'une bonne pincée de parmesan pour venir sublimer un bon plat de pâtes bolo ? La réponse à ces trois questions est simple: rien du tout.
Car cette newsletter n'aura d'autre but que de venir vous apporter tous les mois son lot de petites critiques/analyses sur des œuvres qui se retrouvent aujourd'hui noyées par un océan de contenus. Certes, les grosses machines comme Stranger Things ou les Marvelleries auront toujours leur place, mais quid des séries cachées, des lectures imprévues et atypiques ? Je dis ça, on parlera probablement d'Avatar à un moment donné, hein.
C'est aussi l'occasion d'épancher une certaine soif d'écriture mais j'espère que ça serve aussi à vous, lecteur-rice, pour venir y trouver quelques pépites. Il y aura même des petits bonus à la fin, avec des vidéos diverses (peut-être des chats), des trouvailles plus ou moins originales, et même de la musique, soyons fous. Profitez bien de la lecture et on se retrouve (peut-être) le mois prochain 🤞
[#film] - Trois mille ans à t'attendre
Beaucoup associent George Miller à la saga Mad Max, et principalement au tout dernier épisode, l'extraordinaire Fury Road, qui a prouvé que le réalisateur de 77 ans en a encore sous la pédale. Mais peu savent qu'il est loin de se contenter de "Witness Me" et d'allers-retours motorisés dans le désert, et qu'il a tenté des registres bien différents. Les deux Happy Feet, Babe 2 ou Les Sorcières d'Eastwick sont là pour montrer tout son talent. Avant de se lancer dans la préquelle Furiosa, actuellement en tournage, Miller s'est autorisé une petite récréation avec Trois mille ans à t'attendre, soit un presque huis-clos dialogué entre un djinn et une narratologue.
L'histoire prend place à Istanbul, lorsque Alithea (Tilda Swinton) achète un étrange flacon dans un marché après une de ses conférences. Une fois dans sa chambre d'hôtel, elle va ouvrir le flacon par mégarde et un djinn (Idris Elba) s'en échappe et lui propose trois vœux à réaliser. Alithea n'ayant pas d'envies particulières, les deux personnages vont alors discuter et apprendre à se connaître, et le djinn va finir par raconter sa propre histoire à travers des contes extravagants et oniriques.
Ne vous attendez pas à un film aussi survolté que son trailer, qui mise tout sur un montage rapide et une musique dynamique. Trois mille ans à t'attendre prend son temps pour croquer ses deux personnages et venir dévoiler le véritable sujet du film: comment la puissance du récit et de la fiction joue un rôle sur notre vie. Tout repose sur la narration, sur le lien que l'on tisse avec le personnage d'Alithea et pourquoi le djinn choisit de raconter ces histoires-là précisément. Le film est bien plus dense que ces simples contes et Miller déverse tout son cinéma pour parler du mythe, des légendes, de comment les histoires forgent les personnalités et les caractères. Ce n'est pas anodin que l'on aperçoit lors d'une conférence des images de super-héros Marvel/DC. L'humain a toujours trouvé ses forces et ses fragilités dans les histoires qu'il entend, qu'il écoute, qu'il voit. A tous les niveaux, le film s'amuse à distiller de petites touches sensorielles pour qu'Alithea prenne du recul sur sa propre existence.
Et toutes les émotions du personnage ressurgissent instantanément. La solitude, l'amour, le bonheur, tout ceci va exploser, et alors qu'on voyait Alithea comme une personne comblée, la vérité est bien plus triste. Le message est fort, s'amuse avec des détails trouvés par-ci par-là pour dévoiler le réel. Le film laisse libre court à l'interprétation et chacun pourra y voir des choses différentes, avec plus ou moins de déception. A ce titre, la dernière partie est un peu en-dessous du reste, lorsque Miller devient trop littéral et prend quelques raccourcis. Mais on pardonne aisément devant la nature même du film, le choix radical de sa structure et la puissance de ce qui est évoquée. Ou comment le merveilleux et le fictif s'insinue dans nos esprits, quitte à finir sur une pointe mélancolique lorsque l'on s'enferme un peu trop dans nos contes.
Trois mille ans à t'attendre / Réal: George Miller / Avec Tilda Swinton, Idris Elba / 1h49
[#film] - Blonde
Netflix poursuit sa fin d'année cinématographique, et quelques jours après Athena déboule Blonde, le dernier né d'Andrew Dominik qui nous avait épaté avec L'assassinat de Jesse James. Blonde, donc, qui est précédé d'une réputation compliquée, entre l'évocation de scènes sulfureuses qui a conduit Netflix à un peu de censure ou une production globalement délicate.
Petit rappel: Blonde n'est pas un biopic. C'est l'adaptation du roman du même nom écrit par Joyce Carol Oates, qui raconte la vie de Marilyn Monroe en se basant sur sa propre vie mais en se servant de l'aura parfois mystérieuse de l'actrice pour y incorporer des éléments totalement fictifs. L'idée est d'utiliser cette figure ultra connue pour amener une vision sordide du Hollywood des années 50-60. Le film reprend donc cet aspect-là, et il est important de se lancer dans le film avec cet état d'esprit: on est plus dans un voyage sensoriel et presque expérimental de l'esprit de Monroe et non dans un biopic qui va nous apprendre tout ce qu'il y a à savoir sur la vie de l'actrice. Car tout comme le faisait Jesse James, Dominik est là pour déconstruire une icône afin de faire exploser les coins les plus sombres de l'Amérique à travers le sex-symbol qu'est Marilyn Monroe.
On plonge alors tête la première dans une bouleversante et impitoyable traversée du star-system, en partant de l'enfance de celle qui s'appellait en réalité Norman Jeane Baker. Tout le film va jouer sur ces deux caractères, sur son enfance et sa mère qui finira en hôpital psychiatrique, ainsi que la construction du personnage de Marilyn Monroe afin de mieux encaisser la célébrité qui l'assaille de toute part. La souriante et aimée Marilyn camoufle Norman Jeane à chaque instant, et le spectateur va sombrer avec elle dans une dualité de plus en plus compliqué à tenir. Chaque rencontre est cruelle, chaque homme dans sa vie ne voit en elle qu'un physique, une mère, une épouse, sans jamais tenter de comprendre ses envies, et toute la mise en scène abonde dans ce sens. Une réalisation hypnotique, souvent très inspirée et somptueuse (la transition avec les chutes), parfois trop provocante et pas toujours utile, ce qui rend le film difficile à voir, surtout sur une durée aussi longue. Le malaise pointe parfois le bout du nez.
Plus encore que l'âpreté des séquences, c'est la finalité du film, qui oublie le "now what ?" qu'on pouvait attendre pour ne faire finalement qu'un constat d'un système américain abject, d'un patriarcat violent, qui aura brisé les rêves d'une jeune femme dont la principale ambition ne correspondait jamais aux attentes de son public. A ce titre, Ana de Armas qui incarne Marilyn est brillante. Tout en fragilité, brillant à chaque apparition à l'écran, elle est de toutes les scènes et bluffe par son mimétisme quand il s'agit de recréer les séquences les plus célèbres de Monroe. Dominik multiplie les effets de style, passant du noir et blanc au cinémascope, parfois en reprenant une image d'époque avec un naturel confondant, tout ça pour perdre intentionnellement le spectateur entre fiction et réel (et ça fonctionne).
Blonde est compliqué à approuver totalement. Il est bluffant sur pas mal de points, notamment par une mise en scène fichtrement audacieuse et prenant, et un casting impeccable, mais il lui manque une subtilité et un recul nécessaire pour replacer l'histoire dans le contexte actuel. Il lui manque une approche plus réflexive sur son personnage principal au lieu d'en faire simplement une victime, afin de justifier pleinement certaines séquences qui peuvent facilement passer pour de la complaisance si on n'y prête pas trop attention. Un film fascinant, pas toujours réussi, mais implacable dans sa démarche, ce qui est suffisamment rare pour le souligner.
Blonde / Réal: Andrew Dominik / Avec Ana de Armas, Adrien Brody, Bobby Cannavale / 2h46 / Disponible sur Netflix
[#manga] - Ao Ashi
Aoi Ashito est un jeune garçon qui a passé toute sa vie dans la préfecture d’Ehime, bien loin des grandes villes japonaises. Mais c’est aussi un surdoué du football quand bien même son impulsivité l’empêche de réaliser qu’il n’est pas tout seul sur le terrain. Un incident sur le terrain va le remettre en question, tout comme la rencontre inattendue avec un recruteur d’une célèbre équipe, spécialisée dans la formation de jeunes prodiges. Celui-ci va voir en Aoi un vrai talent pour le football et le convie à une épreuve de détection pour peut-être l’inclure dans la future équipe.
“Encore un manga de sport” me direz-vous. Au Japon, c’est un genre bien à part, qui contient toutes les valeurs indispensables à un bon shonen: courage, détermination, valeur du groupe, etc… Des histoires universelles et enivrantes, capables à elles seules de relancer un sport: Takehiko Inoue a même reçu une mention pour Services Rendus au Sport grâce à son manga Slam Dunk. Une œuvre culte tellement forte et populaire qu’elle a donné un nouveau souffle au basket dans les lycées japonais. Et Ao Ashi, nouveau venu dans l’univers du manga de sport(sa publication a débuté en 2015 chez Big Comics Spirits), coche toutes les cases, notamment grâce à un héros qui a déjà un don inné pour le foot mais qui va devoir apprendre les valeurs de ce sport à travers son aventure. Des valeurs qui, comme dans tout shonen qui se respecte, va aussi influencer sa vie personnelle, aussi bien dans ses amitiés que sur sa famille. Ao Ashi est autant un manga de football que de tranches de vie.
Car si les deux premiers tomes rassurent sur les capacités de Yugô Kobayashi à offrir de superbes planches durant les matchs de foot, ils montrent aussi l‘aspect réaliste du football, loin des Captain Tsubada qui outrepassaient parfois les règles de la physique. Le mangaka a été secondé par Naohiko Ueno, journaliste sportif, pour pouvoir faire évoluer son personnage dans un univers crédible et réel. On le ressent dans la façon d’aborder le milieu professionnel ou dans la lisibilité de l’espace de jeu, afin de justifier la capacité d’Aoi à analyser le placement des joueurs. La force des coups d’éclats ne vient pas forcément des capacités physiques des personnages mais bien de l’aspect tactique. Mais le côté humain est aussi une force du manga. Chaque membre de son équipe joue un rôle important, et c'est la cohésion du groupe qui va marquer la différence. Aoi va devoir désapprendre ce qu'il sait pour exploiter au mieux ses capacités d'analyse et de pilier central. Si Aoi peut paraître arrogant et vaguement insupportable dans les premiers chapitres, c’est pour mieux briser sa façade quelques pages plus loin. Kobayashi joue à merveille avec les non-dits, les différences sociales, la pauvreté, pour apporter beaucoup de profondeur au héros et son entourage.
Le tome 3 parvient même à mettre très peu de football pour se concentrer sur de difficiles décisions sur la vie d’Aoi, notamment via une certaine séquence qui fera frissonner tant la sincérité des sentiments des protagonistes et palpable. Et l'auteur continuera à surprendre et créer des pas de côté, notamment entre les tomes 6 et 7, véritable pivot autour du protagoniste qui déroutera l'habitué du shonen classique mais rendra la suite encore plus excitante. Fort d'une dizaine de volumes, Ao Ashi est bien parti pour devenir une belle référence du manga de football.
Ao Ashi / Auteur: Yugô Kobayashi / Éditeur: Mangetsu / 11 tomes disponibles
[#film] - Harakiri
C'est toujours dans les vieux pots qu'on fait les bonnes cuillères, comme on dit... A peu de choses près. Harakiri, film du réalisateur japonais Masaki Kobayashi qui date de 1962, est le digne représentant de son géniteur. Kobayashi aura été témoin des horreurs de la Seconde Guerre Mondiale, et après avoir passé un an enfermé dans une prison américaine, il débute sa carrière de cinéaste avec la volonté de pointer du doigt l'injustice sociale et la société japonaise de l'époque, notamment sur la responsabilité de son pays dans la guerre. Il en sortira plusieurs films importants, dont la trilogie La condition de l'homme, fresque de neuf heures qui aura un grand succès. Avec Harakiri, Kobayashi remporte le Prix du jury au festival de Cannes de 1963.
Harakiri se déroule pendant la période féodale d'Edo, lorsque les samouraïs commencent à perdre leur statut faute de missions à obtenir. Le ronin Hanshiro Tsugumo se présente devant le château d'un clan afin de procéder au seppuku devant l'intendant Saito, ne pouvant plus conserver l'honneur de son ancien statut. Or, à cette époque, bon nombre d'anciens samouraïs menacent de faire seppuku pour forcer l'intendant du château à leur donner de l'argent afin qu'ils se suicident ailleurs. Saito fait part de ses doutes mais Tsugumo assure qu'il est prêt à aller jusqu'au bout et commence à raconter son histoire pour prouver sa détermination.
Harakiri paraît simple dans sa structure, mais pourtant, c'est dans la découverte de l'histoire et des différentes strates du scénario qu'il révèle toute sa richesse. Petit à petit, la simplicité de ces personnages révèle une vérité bien plus sordide et cruelle. Derrière une tradition féodale aux apparences respectueuses se cache des rapports hiérarchiques et sociales de l'époque bien problématiques. Le noble a toute autorité sur le roturier qui tente de gagner sa vie, et le film joue constamment avec les attentes du spectateur. Chaque indice, chaque nouvelle pièce de l'histoire fait basculer peu à peu le point de vue et le ressenti que l'on a pour chaque protagoniste.
Kobayashi arrive à maintenir l'intérêt tout du long, avec un sens de la composition impressionnant et une mise en scène renversante. Le cadrage est renversant à chaque seconde, sans pour autant sacrifier une atmosphère unique qui fait presque regretter une multiplicité des décors que l'on aimerait voir plus longtemps. Le noir et blanc magnifique ne fait que sublimer chaque plan, chaque combat au sabre, joue aisément des codes du chambara quand il faut et propose un film somptueux de bout en bout. Il y a une virtuosité dans l'attente et la violence, dans la présence magnétique de chaque acteur qui trouve sa place. Un véritable monument qui reste complètement recommandable 50 ans plus tard.
Harakiri / Réal: Masaki Kobayashi / Avec Tatsuya Nakadai, Rentarō Mikuni / 2h15
Disponible gratuitement sur france.tv
La playlist du mois
Chaque mois, une playlist de dix morceaux sélectionnés parmi des soundtracks de films ou de jeux vidéos sera mise à disposition. Ce mois-ci, principalement des choses sortis en 2022, plus ou moins: on alterne entre le Turning Red de Pixar qui met à l'honneur Ludwig Goransson et The Bad Guys avec le toujours swingant Daniel Pemberton, sans oublier l'immanquable thème d'Elden Ring, la BO de Kena: Bridge of Spirits enfin dispo officiellement ou encore toutes les covers de The Last of Us Part II. Enjoy !
AIGRIE CULTURE VOL.1 / SEPTEMBRE 22 — www.youtube.com PLAYLIST AIGRIE CULTURE VOLUME 1 MOVIES & VIDEO GAMES SOUNDTRACK
La soundtrack du mois - Moonage Daydream
Si le documentaire Moonage Daydream ne vous apprendra pas grand-chose sur la vie de David Bowie niveau wikipedia (il y a déjà des reportages qui s'occupent très bien de la chose), Brett Morgen a préféré l'approche expérimentale et sensoriel pour retranscrire les envies de Bowie, son approche artistique à travers toute son oeuvre, à la fois auditive et visuelle, grâce à un montage bluffant. Alors c'est certes Bowie qui parle de Bowie, mais rien que la bande-son fait plaisir.
Album dispo sur toutes les plates-formes (Spotify)
Misc
> On pourra dire ce qu'on veut sur Konbini, mais le format Vidéo Club est probablement leur meilleur contenu pour tout passionné de cinéma, et c'est encore plus le cas quand il s'agit de la merveilleuse Virginie Efira
> De la chanson Alone and Forsaken déjà présent dans un trailer du jeu, ou encore de certains paysages tout droit sortis des concepts arts, force est de reconnaître que ce premier teaser de la série live The Last of Us est d'une fidélité sans pareil au matériau original.
> La sortie prochaine de la suite d'Avatar est l'occasion de remettre en avant ce sketch génial du SNL avec Ryan Gosling en guest
> Square-Enix s'apprête à débarquer en fin d'année avec mille et uns jeux - et pas mal de remasters/remakes, et parmi ceux-là se trouve le remake de Tactics Ogre, RPG japonais tactique méconnu mais qui est pourtant parmi les meilleurs, comme le montre cette vidéo d'Ato