Attendez une minute, je n’allais tout de même pas vous laisser partir sans quelques petites friandises à acheter tout de même ?
Car oui, l’été c’est synonyme de relâche, de moments chills, de pieds dans l’eau ou sortis de la tente installée près d’un refuge de montagne. C’est aussi l’opportunité d’embarquer une petite chose à lire, trois fois rien, qui vous permettra de vous évader le temps de quelques pages. Pas ces trucs sans images, là, non (je déconne, lisez de tout), mais bien des bandes dessinées, des mangas, des comics, des trucs avec des bulles et des dessins, et parfois même, soyons fous, un peu de couleurs.
Je vous propose donc une petite sélection d’ouvrages qui ne sont pas passés dans les précédentes newsletters, histoire de vous donner un peu de choix. Et comme c’est l’été et qu’on n’a pas envie de s’embarquer avec une vingtaine de tomes dans le sac à dos, j’ai privilégié des histoires uniques ou dans le pire des cas, des séries qui viennent tout juste de commencer (avec un ou deux tomes sortis) et qui n’ont pas la prétention de nous faire une “One Piece”, comme on dit dans le jargon. Enjoy et profitez de vos vacances !
\ NOTE /
Je mets ça ici parce que je n’ai pas d’autre endroit où informer de ça: vous avez maintenant sur la page d’accueil de la newsletter, en haut en-dessous du titre, un index des oeuvres critiquées depuis le début de l’Aigrie Culture, avec le lien pour vous y mener directement. C’est rudement pratique (pour vous comme pour moi, ne nous mentons pas) et c’est accessible par ici.
[#comics] - Sacrifice Tome 1
Nouvel ouvrage de l’auteur Rick Remender (Fear Agent, Black Science), Sacrifice déploie un monde d’héroïc-fantasy où la paix règne depuis un certain temps. Sauf que cette paix a un prix: chaque famille doit abandonner un de ses membres pour qu’il ou elle soit donné.e en sacrifice, sans que l’on sache comment ni où. Un enfant d’une de ces familles va découvrir la vérité qui se cache derrière ces sacrifices.
Il faut déjà noter que l’édition de Urban est somptueuse: grand format, bénéficiant d’une couverture cartographique qui attire l’œil, avec les dessins intérieurs de Max Fiumara qui sont tout aussi chouettes. Comme d’habitude avec Remender, on y évoque la part sombre de l’humanité et l’exploration d’un fossé social où les puissants écrasent les plus faibles, à travers un récit fantastique qui va titiller la fibre mythologique. Et comme souvent dans ses histoires, la morale y est ambigüe, et les personnages sont loin d’être aussi manichéen qu’en apparence. On dévore les chapitres les uns après les autres, avec une narration exemplaire et des dialogues inspirés, et une certaine science du retournement de situation comme le scénariste sait si bien y faire. Il ne reste plus qu’à attendre la suite patiemment.
Sacrifice Tome 1 / Rick Remender & Max Fiumara / Urban Comics / 21 euros
[#comics] - Arca ou la nouvelle Eden
La Terre n’est plus habitable. Une poignée de milliardaires, scientifiques et chercheurs se sont attelés à créer un vaisseau gigantesque, une “Arche”, pour fuir la planète à la recherche d’une nouvelle Terre. Cela fait plusieurs générations que le vaisseau traverse l’espace, transformant la société humaine en quelque chose d’autre: les élites contrôlent la majorité du vaisseau, tandis que les adolescents passent plusieurs années à être au service de ces privilégiés avant de pouvoir prétendre à passer à la classe au-dessus une fois arrivés à la majorité. On y suit Perséphone, une jeune adolescente encore dans son service mais qui va découvrir des choses étranges sur le fonctionnement de ce vaisseau.
One shot complet, Arca joue à fond l’univers de SF mystérieux, faisant penser à Silo pour l’aspect “complots et mystères”, avec des personnages sous le joug d’un système injuste et dictatorial, mais cloisonné dans ce mystérieux vaisseau. Le livre est dense et ménage son suspense pour pouvoir mieux développer ses personnages et l’entourage de l’héroïne. Scénarisé par Van Jensen qui propose une histoire accrocheuse jusqu’au bout, les dessins de Jesse Lonergan peuvent déstabiliser, faisant penser à du Daniel Warren Johnson moins vénère, mais l’artiste possède un vrai sens du découpage pour parvenir à distiller les mystères et les révélations.
Arca, ou la nouvelle Eden / Van Jessen & Jesse Lonergan / 404 Graphic / 22 euros
[#comics] - Superman Lost
Lors d’une soirée tout à fait banale, Lois Lane voit Superman partir de leur appartement pour répondre à son devoir, afin de combattre une énième menace. Quelques heures plus tard, elle le trouve dans le salon, immobile, les yeux dans le vague. Lorsqu’elle lui demande ce qu’il se passe, il répond qu’il est parti pendant vingt ans.
Un pitch plutôt accrocheur pour un livre qui propose un récit complet, hors continuité. Comprenez: si vous savez qui est Superman, Lois Lane et Lex Luthor, vous avez toutes les clés en main pour comprendre ce qu’il se passe. Le scénariste Christopher Priest ne met pas de gants en narrant l’histoire de ce Superman qui a vécu un trauma long de vingt ans, que Lois tente de décrypter même si l’idée a de quoi faire tourner la tête. Patiemment, tout au long des chapitres, le lecteur découvre ce qui lui est arrivé, et comprend petit à petit que toute la force et l’idéal de Superman, celui de combattre le mal et de faire passer le bien d’autrui avant toute chose s’est retourné contre lui. Perdu, lessivé, on le suit dans cette aventure cosmique qui prend soin de casser l’image de boy-scout du personnage en le confrontant à ses propres limites idéologiques. C’est passionnant à lire, ça se perd parfois en conjonctures moins importantes, et le trait de Carlos Pagulayan, bien que très solide, reste un peu trop dans les standard du mainstream (mais accompagné d’autres artistes comme l’excellent Lee Weeks le temps d’un chapitre ou deux), mais c’est recommandé à tous ceux qui pensent que Superman est un personnage trop lisse pour être intéressant.
Superman Lost / Christopher Priest & Carlo Pagulayan / Urban Comics / 25 euros
[#bd] - Je suis leur silence
A Barcelone, Eva Rojas est une jeune psychiatre à la vie mouvementée. Elle-même est en pleine session de thérapie avec le Dr Llull, qui lui pose des questions sur une affaire récente afin qu’il puisse estimer si elle est apte à exercer de nouveau son métier. Elle raconte alors comment elle a été appelée quelque temps plus tôt par une de ses patientes, Penelope, pour assister à une réunion chez sa famille, l’une des plus riches d’Espagne. Mais cette réunion de famille ne va pas se passer comme prévue et va se transformer en une affaire de meurtre.
A priori, la BD de Jordi Lafebre, scénariste et dessinateur qui a quelques beaux ouvrages à son actif (Malgré Tout, Les beaux étés), part sur une histoire de polar somme toute classique afin de trouver le coupable. Sauf que ça ne sera pas si simple, car le personnage d’Eva est une personnalité au caractère bien trempé, n’hésitant pas à analyser les gens autour d’elle tout en balançant quelques piques acérées, se défendant contre le monde actuel et ses travers. Toute l’originalité de l’histoire se repose sur ce protagoniste principal, à mille lieux d’une détective taciturne et qui permet de jongler entre des moments de comédie savoureux et la noirceur des mystères qui se trament dans cette famille, le tout accompagné du trait rafraîchissant de Lafebre. Une histoire complète en un tome qui fonctionne tout seul.
Je suis leur silence / Jordi Lafebre / Dargaud / 21 euros
[#bd] - Les guerres de Lucas
Bénéficiant d’un soin dans la documentation assez impressionnant, Les Guerres de Lucas raconte les mésaventures d’un jeune réalisateur, George Lucas, de son enfance jusqu’à sa vie d’adulte lorsqu’il réalise le premier volet d’une saga cinématographique qui va rester dans l’histoire: Star Wars. On y suivra ses déboires pour trouver des financements, ainsi que réunir le casting et gérer les relations entre les uns et les autres, tout ça en parvenant à toucher du doigt la psyché d’un visionnaire pas comme les autres.
On a souvent tout entendu de Star Wars: ses galères de tournage, son succès fulgurant, ses anecdotes de casting. Mais Les Guerres de Lucas parvient à mettre tout ça en images à travers un récit bien ficelé, comme un biopic sur la période bien spécifique de la vie du réalisateur, aidé par une multitude d’informations croustillantes, certaines connues, d’autres moins, mais qui permettent de remettre l’échelle humaine au centre de ce projet atypique à l’époque. Les dessins de Roche sont parfait dans ce coup de crayon simple mais immédiatement reconnaissable et lisible, et la narration de Hopman accroche le lecteur très rapidement.
Les guerres de Lucas / Laurent Hopman & Renaud Roche / Deman Editions / 24.90 euros
[#manga] - Vies d’ensemble, au-delà des mots
Dans le Japon d’aujourd’hui, Takeda et Arita, deux anciens camarades de classe, se recroisent au moment de secourir un chat mal en point. Takeda est professeur de japonais, et Arita est fleuriste, et chacun a fait sa vie de son côté depuis le lycée. Pourtant, les deux vont reconnecter et apprécier de passer leur temps libre ensemble. Il n’y a pas de raison particulière, pas de sentiments amoureux qui naissent entre ces deux personnages, mais simplement l’impression d’être heureux quand ils sont ensemble. Ils vont alors finir par emménager dans un appartement.
Etonnant manga que ce Vies d’ensemble (2 tomes sortis pour le moment), qui lorgne du côté de la tranche de vie, n’ayant pas d’autres ambition que de parler des relations amicales et de comment tout ceci est perçu au Japon, voire au-délà. L’artiste Fumiya Hayashi choisit des traits simples mais expressifs pour raconter cette histoire qui met en avant ces deux adultes choisissant de vivre ensemble, simplement parce qu’ils se sentent bien à deux. Et de là, le manga enchaîne les chapitres développant l’entourage des deux amis, qui constate ce changement et réagissent à ça, posant des questions sur leurs liens, s’ils sont en couple, etc. On verra où tout ça nous mène, mais rien que de questionner la valeur d’une amitié au-delà du sentiment amoureux permet d’élargir ses horizons et d’apporter un sacré vent de fraîcheur.
Vies d’ensemble, au-delà des mots / Fumiya Hayashi / Naban Editions / 8 euros (2 tomes sortis)
[#manga] - Venus Wars
Au début du XXIème siècle, Vénus se retrouve percuté par un astéroïde de glace gigantesque, ce qui rend la planète habitable. Des habitants de la Terre partent donc coloniser la planète. Deux nations naissent: Ishtar et Aphrodia. Mais ces deux pays se battent pour grignoter le territoire de l’autre. Ishtar mène la danse grâce à des véhicules armées nommés “poulpes”, réputés pour avoir une armure impénétrable. Aphrodia parvient à créer une unité d’élite avec des motos blindés et armés de canons capable de détruire les véhicules ennemies, mais il faut engager des soldats capables de s’approcher suffisamment pour y arriver. Hiro, un habitant d’Aphrodia et jeune prodige d’un sport de course motorisé, va être recruté pour y participer.
Venus Wars est une histoire prévue en deux gros volumes grand format (à l’heure où j’écris ces lignes, seul le premier tome est sorti) mais c’est aussi le grand retour de l’auteur Yoshikazu Yasuhiko, connu principalement pour avoir été character designer sur Gundam. Mais le bonhomme connu aussi sous le diminutif “Yas” a réalisé plusieurs mangas, dont celui-ci mais aussi Gundam: The Origin, grande épopée SF bientôt réédité chez nous. Pour Venus Wars, l’auteur imagine un conflit armé entre deux nations mais surtout l’impact de la jeune génération sur une guerre qui vient briser leur routine innocente. Les grandes scènes de bataille ne se font jamais sans victimes, et Yas parvient avec talent à retranscrire l’horreur de cette guerre, sans enlever quelques touches d’humour ou d’émotion, même si l’âge du manga rend certaines séquences désuètes mais non sans charme. Le dessin, très marquée années 90 et l’ère “Akira”, marque par le détail du mécha-design et du souffle épique de l’histoire. Immanquable.
Venus Wars / Yoshikazu Yasuhiko / Naban Editions / 25 euros / 1 tome (sur 2) sorti
[#comics] - Saison de sang
Dans un monde d’héroïc fantasy, une jeune fille avance, avec l’intention d’aller vers un objectif dont elle ne sait rien. Les gens qu’elle croise voit en elle quelque chose de sacré, notamment chez un certain clan qui va tenter de l’arrêter. Sauf qu’elle est protégée par un gigantesque guerrier en armure, qui ne parle pas non plus, mais la défend, quoi qu’il arrive. A tel point que lorsqu’elle désire faire un pas de côté, son gardien est là pour la remettre sur son chemin, contre son gré. Commence alors une étrange odyssée.
Paru chez Dupuis, Saison de Sang (Step by Blood Step en VO) est bien un comics à la base, porté par le scénariste Si Spurrier et l’artiste Matias Bergara, déjà responsable du très très cool Coda, qui déjà embarquait le lecteur sur un monde de fantasy coloré et sans pitié. La grande différence ici, c’est que Saison de Sang est entièrement muet. Et pourtant, tout est compréhensible. Un vrai boulot d’écriture et de dessin pour rendre ce duo improbable et attachant. Tout est dans le regard, dans une science du découpage, et l’artiste Matias Bergara possède une patte qui rend certaines pages sublimes et d’une poésie sans pareil.
Saison de Sang / Si Spurrier & Matias Bergara / Dupuis / 21,95 euros
[#manga] - Jimbôchô Sisters
Les sœurs Karida viennent de perdre leur grand-père. Celui-ci leur laisse une petite librairie dans le quartier tokyoïte Jimbôchô, remplie de livres anciens ou d’occasions. Un quartier réputé pour ses librairies, mais aussi pour son côté perdu dans le temps, où les bâtiments n’ont pas l’air de subir l’ère moderne. Ichika, la sœur la plus âgée, ne peut pas reprendre la boutique, ayant déjà un travail, et la plus petite, Minori, est encore au lycée. C’est donc Tsugumi qui va s’occuper de cette librairie, devenant un véritable paradis pour elle, n’étant pas des plus affables avec les gens et préférant se perdre dans la lecture. Une nouvelle vie commence pour les trois sœurs.
Pour l’instant affublé d’un seul tome, Jimbôchô Sisters marque surtout le retour en France de Kei Tôme, une mangaka qui aura eu du mal à faire son trou dans notre pays malgré son talent et sa patte particulière dans le design de ses personnages. Mélangeant des décors d’après photo et des protagonistes au trait franc et expressif, le manga s’apprécie surtout pour sa plongée dans ce quartier atypique de Tokyo, où les librairies en tout genre et pour tout le monde pullulent. Le plaisir de lecture vient surtout de cette suspension du temps, où on s’amuse à discerner les détails d’objets ou d’architecture d’une période révolue, entouré par d’innombrables livres, témoins du passé. Un vrai plaisir de bibliophile. Et c’est aussi un manga de tranches de vie, où le quotidien avance inlassablement, avec ces petits tracas et la vie de libraire qui demande une certaine méticulosité.
Jimbôchô Sisters / Kei Tôme / Mangetsu / 7,95 euros (1 tome sorti)
[#manga] - Petite forêt
Ichiko est une jeune femme qui décide de revenir à Komori, son village natal, après une déception amoureuse de trop dans la grande ville. Là-bas, elle se trouve une petite maison et commence à cultiver tout ce qui lui fait plaisir et à apprendre à être indépendante pour mieux réaliser des recettes de cuisine avec ce qui lui tombe sous la main, tout en apprenant comment vivre tout au long de l’année avec ce que la nature lui apporte au fil des mois.
L’auteur du manga, Daisuke Igarashi, n’en n’est pas à son premier coup d’essai. Son style inimitable a déjà conquis beaucoup de lecteurs à travers des oeuvres comme Designs mais surtout Les Enfants de la Mer, qui a même eu droit à une adaptation en long-métrage. Son coup de crayon particulier lui a toujours permis de parler de la faune et de la flore de manière sensitive. Son dessin respire l’observation et la précision, et un véritable amour pour tout ce qu’il représente. Petite forêt se concentre sur de courts chapitres, basés sur des moments de vie de Ichiko, comme la conservation de châtaignes ou encore défricher un terrain avant de s’occuper de sa rizière. Et pas grand-chose de plus. Ne vous attendez pas à y trouver un quelconque fil rouge mais juste des souvenirs ici et là, ponctué par une tendresse infinie pour ces gens qui communient avec la nature pour venir cultiver la terre et respecter ce que la forêt leur apporte.
Petite forêt / Daisuke Igarashi / Delcourt/Tonkam / 15,99 euros
Superbe sélection, merci beaucoup ! J'ai absolument adoré Les Guerres de Lucas... Un ouvrage qui permet, sinon de réévaluer, du moins de remettre un coup de projecteur sur un réalisateur aujourd’hui conspué et mal aimé, qui à une époque a brillé par sa pugnacité pour finalement créer un univers auquel (presque) personne ne croyait et qui aujourd’hui nous accompagne toutes et tous.
Je suis ultra appâté par Saison de Sang (j’adore CODA). C’est une histoire complète ou à suivre ?