#3 - Rêve hivernal
J'écris peut-être la dernière newsletter sur Revue, puisque dans sa grande mansuétude, et parmi les nombreux changements autour de Twitter qu'il y a eu dernièrement grâce à un milliardaire un tantinet mégalo, la plate-forme de newsletter vit peut-être ses derniers instants. Il y aura probablement une migration, Substack a l'air d'être la meilleure option, mais d'ici là, prions pour que ces grands groupes ou autres gourous de la techno nous laisse tranquille.
Car oui, c'est un peu la mode de ces dernières années: les grands qui rachètent les petits pour faire du profit sans prendre en compte le talent qui se cache derrière. Remarquez, cette tendance ne date pas d'hier, mais les réseaux sociaux et la facilité d'accès à l'information rend les choses plus tangibles. On cite souvent Disney, mais niveau culture, des géants chinois comme Tencent ne se gêne pas pour investir à tour de bras.
Dernièrement, c'est dans le petit milieu de la presse spécialisé JV que le drame continue. On savait que Gamekult, l'un des derniers sites indépendants qui traite du jeu vidéo, avait été racheté bien malgré lui dans un pack de TF1 destiné à Reworld Media, un groupe français spécialisé dans les médias thématiques. Déjà à l'origine du naufrage Sciences et Vie (dont les journalistes sont partis créer Epsiloon - chaude recommandation), ceux-ci ont mis la main sur le site GK, qui a eu raison de la rédaction. Tous les journalistes ont annoncé quitter le navire, n'ayant pas trouvé d'entente sur la ligne éditoriale. Une nouvelle marquante après 20 ans d'existence, suivi par l'interdiction des journalistes de reprendre leur travail sur leurs derniers jours pour un motif banal. Exit des adieux en bonne et due forme, comme un dernier crachat à la figure d'un modèle de presse qui a dû mal à exister (Canard PC et JV Le Mag, soutien).
On va devoir donc se débrouiller pour aller chercher l'info vidéoludique, au milieu de bons plans sponsorisés et publi-rédactionnels vantant les mérites du dernier clavier Razor pour le gamer accompli.
[#jeu vidéo] - Bayonetta 3
Si le genre du beat'em all a toujours été plutôt populaire, il a aussi connu de sérieuses refontes à travers les générations. La bagarre seul contre tous est un genre qui a l'avantage de s'adapter aux changements de machines, et suffisamment souple pour proposer des cures de jeunesse. God of War est le meilleur exemple: la formule de base n'était plus franchement adaptée aux canons du genre, et les deux épisodes les plus récents ont montré que l'on pouvait faire grandir une licence sans complètement renier ses racines (avec une pincée de RPG tout de même).
Côté Japon, c'est Hideki Kamiya qui a révolutionné le genre avec le premier Devil May Cry. Après avoir quitté Capcom et rejoint le studio Platinum Games, il continue ses expérimentations avec le premier Bayonetta. Une sorcière brune en talons, armée de ses quatre pistolets (deux aux mains, deux aux pieds), et dont le second degré n'a d'égal que son physique avantageux, qu'elle utilise même pour créer des démons gigantesques et affronter les armées du Paradis (et aussi des Enfers, tant qu'à faire). Kamiya instille au passage un des meilleurs gameplays de beat'em all qui soit, dépoussiérant complètement le genre grâce à une variété de combos hallucinante et un dynamisme jouissif basé sur l'esquive et le ralentissement du temps.
Treize ans;, deux coupes de cheveux et quelques déboires de studio plus tard, le troisième épisode sort enfin, en exclusivité sur Switch. Une exclu récupérée par Nintendo depuis le deuxième volet, probablement pour diversifier son catalogue et récupérer un public un peu plus adulte. Si le second épisode a ses détracteurs malgré sa grande qualité, la faute à un rythme d'aventure en dents de scie, le lancement de ce troisième volet rebat les cartes une nouvelle fois. Le coeur du gameplay (on combat avec un set d'armes modifiable, le temps ralentit lorsque l'on fait une esquive parfaite) est toujours présent, mais les démons que l'on invoque prennent une place prépondérante. Désormais, il suffit de laisser appuyer sur une touche pour que Bayonetta se mette à danser pour faire apparaître une créature monstrueuse et combattre à sa place. En contrepartie, elle devient complètement vulnérable aux autres ennemis. Un ajout à la fois très bien pensé (on s'amuse à alterner entre les deux personnages voire terminer un combo avec une invocation au dernier moment) mais parfois bordélique quand on voit l'écran se remplir de toute part. Surtout que la panoplie des invocations va d'un cerbère gigantesque à une tour d'horloge (!) remplie d'armes cachées.
Mais malgré ce barouf, Platinum Games lâche tout, dans un grand feu d'artifice final. En se servant du prétexte du multivers dans son scénario (prétexte débile et assumé en tant que tel), le studio multiplie les séquences, les WTF les uns après les autres, dans un rythme de fou furieux qui laissera l'ennui au placard. Bayonetta 3 rajoute en prime des séquences d'infiltration (pas incroyables) avec Jeanne et un nouveau personnage (Viola) avec un gameplay très différent, basé sur du contre ce qui rend les affrontements bien plus techniques. Beaucoup de choses, dans une ultime lettre d'amour au personnage, qui clôture la trilogie de la plus belle des manières. Certes, on pestera contre la partie technique, qui donne l'impression de jouer à un jeu vieux de 10 ans, mais ce n'est jamais une limite pour Platinum qui s'amuse à fond sur la mise en scène et met tout ce qu'il peut, quand il veut. Une bien belle conclusion, en espérant qu'aucun nouvel épisode ne viendra ternir une telle série de jeux aussi atypiques et réussis.
Bayonetta 3 / Développeur: Platinum Games / Dispo sur Nintendo Switch
[#comics] - Ultramega Tome 1
Si le comics de super-héros est peut-être le genre qui prédomine dans la bande dessinée américaine, celui des kaijus commence peu à peu à se faire sa place. James Harren, dessinateur qui a déjà pu s'exercer dans le domaine du fantastique avec le très cool Rumble et BPRD - L'enfer sur Terre, s'est décidé à se lancer dans une œuvre somme en créant de toute pièce Ultramega, où il est également auteur mais épaulé de Dave Stewart pour le travail de coloriste.
Ultramega se déroule dans un monde où un fléau venant de l'espace se propage à travers la population et les transforme en kaijus sanguinaires et violents. Trois humains aux pouvoirs démesurés, les Ultramegas, ont la capacité de se mesurer à eux. S'ensuit alors une bataille gigantesque qui confronte ces héros aux dangereux kaijus. Si le pitch peut paraître simple, Harren se sert de cette base pour retourner les codes et aller plus loin que ça, une méthode qui fait penser à Invincible de Kirkman pour le genre du super-héros.
Sans trop en dévoiler, l'histoire va bien plus loin que son simple concept, qui n'est que l'idée de départ pour développer un lore riche et complexe. La narration met en avant la place des humains au sein d'un grand tout, ceux qui héritent d'un pouvoir anormalement élevé pour faire quelque chose dont ils n'ont pas spécialement envie. On y voit évidemment des thématiques connues mais bien traités, baignées dans un style japonais assumé où se mélange les films de Kaijus énervés avec du sentaï explosif.
L'aspect post-apocalyptique devient alors un décor pour des scènes d'actions bluffantes d'efficacité et de lisibilité, aidé par un dessin sensationnel qui ne lésine par sur la violence graphique (vous êtes prévenu). Le découpage est vraiment dynamique, et si le choc du (long) premier chapitre pourra surprendre, surtout lorsque le tempo redescend dans la suite, les enjeux et le mystère restent prenants. L'histoire ne demande qu'à être développé et au terme de ce premier volume de 200 pages, on a déjà qu'une envie: lire la suite.
Ultramega Tome 1 / Ecrit et dessiné par James Harren, colorisé par Dave Stewart / Éditeur: Delcourt
[#documentaire] - The Alpinist
Après le documentaire récompensé Free Solo qui aura permis de faire la lumière sur Alex Honnold, alpiniste incroyable qui témoigne d'ailleurs dans ce documentaire, le monde de l'alpinisme a connu une visibilité assez folle. The Alpinist suit les traces du regretté Marc-André Leclerc, discret alpiniste canadien inconnu dont les exploits sont restreints à un petit cercle d'acharnés du milieu.
Le documentaire va alors tenter de le suivre dans ses escapades pour comprendre son ressenti, son besoin de grimper au péril de sa vie et de le laisser parler de sa passion. On y découvre un jeune homme d'une vingtaine d'années qui parle de sa passion, entrecoupée d'images assez incroyables où il n'hésite pas à se lancer dans la grimpette de pics enneigés avec un minimum de matériel.
Le documentaire permet également de découvrir les difficultés du réalisateur (Peter Mortimer) pour dénicher Leclerc, qui accepte d'être filmé mais n'est pas spécialement affable sur ses futures destinations. On y décèle une vraie volonté de profiter de ses expériences sans avoir à le montrer à la caméra. On y voit son caractère, à la fois fascinant et désarmant, surtout dans les risques qu'il prend sur certaines montées. Son ascension du Torre Egger en Patagonie, outre ses images remarquables, montre le danger de ce sport extrême. Entre une passion qui est alimentée par ce danger qui, pour eux, en fait tout l'intérêt, et la lucidité de ceux qui pratiquent, le documentaire laisse le spectateur faire son propre choix.
Reste alors un film étonnamment sincère, qui tente de dresser le portrait d'un homme qui paraît insaisissable mais qui parvient à ramener quelques bribes d'un alpiniste absorbé par sa passion qui aura trouvé sa voie. Des images spectaculaires et une vraie réflexion sur ce que l'humain peut accomplir malgré le gigantisme de la nature qui peut parfois nous écraser.
The Alpinist / Réalisateur: Peter Mortimer / Dispo en location sur Apple et Amazon
[#série] - Primal
Dernière série de Genndy Tartakovsky (dont je ne mettrais le nom qu'une seule fois par souci pratique) en date, Primal vient d'achever en cette fin d'année sa deuxième saison de manière éclatante. Une grande série d'animation, réalisée par le studio La Cachette, qui aura permis de concrétiser tout le talent de l'artiste à travers une saga adulte, humaine et (presque) sans aucun dialogues.
Car Primal narre les aventures d'un homme préhistorique dont sa famille est assassinée et qui se lie d'amitié avec un tyrannosaure. Au passage, le bougre n'a pas encore découvert le langage. Toute la série joue sur la mise en scène, les mouvements, le regard. Tout un langage cinématographique au service de la narration, qui prouve les talents de conteur de Genndy et qui permet dans la saison 1 de varier les situations pour proposer des genres différents, des histoires toujours plus violentes et flirtant parfois avec l'horrifique.
La saison 2 transforme l'essai à travers une histoire plus construite et un fil rouge plus évident. Le dernier épisode de la saison 1 était un point de départ pour quelque chose de plus ambitieux, et il y avait la crainte de perdre la simplicité et l'efficacité des premiers épisodes. Mais ce sera le contraire: en épousant complètement l'aspect saga à travers une véritable influence de Conan le Barbare, Primal explose et se construit autour de relations durables entre les personnages pour développer encore plus tout son propos sur la violence, sur la bestialité enfermée au fond de nous. Les actes ont des conséquences, chaque enjeu résolu en entraîne un nouveaun dans une lisibilité vraiment bluffante. L'efficacité des premiers temps est toujours là, à travers une générosité dans l'action complètement folle mais avec un développement réellement appréciable qui permet à Primal d'épouser ses ambitions. Un équilibre dangereux mais salutaire sur la longueur.
La mythologie et le background de Primal s'en trouve enrichie, la mise en scène également. L'animation 2D est toujours aussi somptueuse, avec des épisodes grandioses dans la variété de l'action et des contextes. On va de surprise en surprise, de séquences grandiloquentes à de l'imagerie iconique en pagaille. Primal est un vrai plaisir visuel, et prouve que le langage visuel n'a pas besoin de dialogues pour raconter quelque chose de profond. Rien d'annoncé encore pour la suite, mais on espère sincèrement que ce n'est pas fini.
Primal / Créateur: Genndy Tartakovsky / Animé par le studio La Cachette / 2 saisons de 10 épisodes chacun / Dispo sur Adult Swim
La playlist du mois
Chaque mois, une playlist de dix morceaux sélectionnés parmi des soundtracks de films ou de jeux vidéos sera mise à disposition. Ce mois-ci, toujours l'actu, avec même des films que je n'ai pas vu (Enola Holmes 2) mais avec un compositeur que j'aime beaucoup (Daniel Pemberton). Il y a aussi les grosses pointures comme Black Panther 2 (et une BO plutôt bonne). Côté jeux, c'est God of War Ragnarock, sans surprises, qui permet à Bear McCreary de se faire un doublé blockbuster (avec Les Anneaux du Pouvoir), ainsi qu'une petite sucrerie signée Bayonetta 3.
AIGRIE CULTURE VOL.3 / NOVEMBRE 22 — www.youtube.com Share your videos with friends, family, and the world
La soundtrack du mois
Pas vraiment une VRAIE soundtrack mais un petit concert récent, qui concerne A Plague Tale: Requiem. Si cette suite est une petite déception, sa bande originale par contre ne déçoit pas, toujours portée par un Olivier Derivière en grande forme.
A Plague Tale Requiem: Symphony — www.youtube.com 🐀 Get it now: https://store.focus-entmt.com/w/aplaguetalegames?utm_campaign=APTR_Symphony&utm_medium=Description&utm_source=Youtube✉️ Sign up as a Focus mem...
Misc
> L'utilisation de l'IA pour des projets artistiques est à la fois fascinant et terrifiant. Les gens de Corridor se sont amusés à recréer le Spider-Man de Tom Holland, mais version animé comme Spider-Verse (avec moultes surprises et clins d'oeils).
> Un nouveau clip de Woodkid c'est toujours bon à prendre
> On aime ou pas Joueur du Grenier, toujours est-il qu'il fait partie du paysage vidéoludique de Youtube depuis un moment, avec des prises de positions tranchés. Cette vidéo fait un très bon résumé pour montrer l'évolution de la sphère "geek" à travers Le Joueur du Grenier
> Vous avez une petite heure ? Une analyse fortement intéressante sur ce que raconte Last of Us Part II